« Il y a trois sortes de soldats », disait Léon Tolstoi dans son livre La coupe en forêt. Il distinguait « le soumis, l’autoritaire et le grande gueule ». La première catégorie est majoritaire dans la troupe, la seconde les encadre et la troisième n’est ni soumise, ni autoritaire. Elle sait surtout ne pas fermer sa « gueule ». Emile Hérault, habitant de la région lyonnaise depuis plus de trente ans, appartient à la troisième catégorie.
Nous sommes en 1944, Émile est encore mineur. Les restrictions et le décès de son père quelques années auparavant le poussent à ne plus être à la charge de sa mère, qui se débat pour ses deux sœurs avec autant de courage que de peine. Il travaille au « Jardin fleuri », fleuristerie à proximité de Bayeux, et fait le trajet d’une dizaine de kilomètres à vélo tous les jours. En chemin, son employeur lui demande de s’arrêter dans une ferme tous les matins pour qu’on lui remette du lait. De fil en aiguille, Émile se retrouve à emmener les vaches pour paître. En très peu de temps, le voilà qui transporte des messages pour la résistance ; un paysan avec ses vaches n’attire pas l’attention. Bien avant le SMS de nos téléphones, qui le 3 décembre 2012 a tout juste fêté ses 20 ans, notre gaillard était déjà sur le Service de Messagerie Secrète (SMS d’un autre genre). Le risque n’était pas de « tuer » son forfait, mais d’être tué pour forfaiture.
Une anecdote donne le ton et le climat qui régnait. Notre ancien combattant explique que malgré tout ce qu’il va vivre durant cette guerre, le seul coup qu’il prendra sera celui d’un policier français. Il fait nuit et notre messager de l’ombre transporte une missive cachée dans son vélo. Il roule avec sa lampe éteinte. Il se fait contrôler par deux agents de police qui veulent savoir pourquoi il roule dans le noir. Lorsqu’il répond que la proximité de la base allemande pouvait lui valoir une rafale si l’on voyait sa lumière après le couvre feu, il reçoit un coup de poing au visage pour toute réponse.
Un adolescent sous la mitraille des canons
Du haut de ses 16 ans, il répond à l’appel de la résistance le jour J. Il monte sur une barque à l’aube, avec une douzaine de jeunes de son âge, le 6 juin 1944. Tous ne savent pas nager, mais cela ne les empêche pas de se mouiller pour leur pays. Les voilà qui rejoignent un navire allié au large d’Omaha beach, sous la mitraille des canons et des MG 42 allemands. Ils sont intégrés à une unité qui débarque en deuxième vague sur la plage, à bord d’une barge. Pour avoir servi de main d’œuvre par l’occupant, nos jeunes connaissent parfaitement où se trouvent les pièges et traquenards à éviter sur la ligne de défense allemande.
En quelques jours, les anglais les forment au déminage et au maniement du TNT. Nos guides volontaires peuvent ainsi sécuriser les accès aux îlots de résistances nazis. Le bocage normand n’a pas de secrets pour ces jeunes qui ont grandi entre les haies et les champs de cette campagne, fleurie par le printemps. Une fois à portée de tirs, les soldats britanniques prennent le relais et partent à l’assaut, sans exposer leurs guides plus que de nécessaire. Se fiant à son instinct, Emile évite plusieurs fois de se faire sauter. Il devra la vie à un camarade qui lui retient la jambe alors qu’il allait poser le pied sur une mine anti-personnelle. Ce même camarade mourra quelques jours plus tard.
Les semaines passent. Le jeune adolescent a désormais plus que ces 16 ans dans les bottes. Il participe activement à toute la campagne de Normandie de ce mois de juillet 1944. En août, il ira en « retraite » chez une marraine de guerre durant trois semaines, afin de se remettre de ce qu’il vient de vivre. Il rempile pour cinq ans. Et après un passage chez les FFI, il ne finira sa carrière militaire qu’en 1957.
Les treize années de service actif dans l’armée française pourraient à elles seules faire l’objet de plusieurs livres. Il paraît important de rappeler l’âge auquel Emile Hérault s’est engagé. Il n’avait que 16 ans, avec une mère déjà veuve et deux sœurs plus jeunes que lui. Tout comme Guy Mocquet, il fait partie des jeunes qui ont fait fi des risques encourus. L’un a survécu pour retourner dans l’anonymat, le second est mort pour la postérité. Ce faisant, cela rassure sur la capacité à dire non, et à ne pas se laisser dominer ; une aptitude que toute nation recèle dans sa jeunesse.
Le Lyon Bondy Blog veut remettre un peu de lumière sur cet oublié de l’histoire, pendant que brille encore cet éclat de liberté dans le regard d’Emile Hérault, 85 ans.
Article initialement publié le 21 janvier 2013