Delphine et Carole, les dessous d’un duo subversif

Du 6 mars au 26 avril, Lyon honore le travail documentaire de Carole Roussopoulos et de Delphine Seyrig. L’exposition Ça commence souvent par des problèmes et la projection du film Delphine et Carole, insoumuses nous plongent au cœur du féminisme post-68.

Juin 1975. Une centaine de prostituées lyonnaises occupe l’église Saint-Nizier, au cœur de la presqu’île. Cette « grève » initie le mouvement contemporain de défense des droits des travailleuses et travailleurs du sexe (TDS). Pourtant, leurs revendications peinent au départ à atteindre le monde extérieur, toute sortie de l’édifice exposant les occupantes à l’arrestation. C’est Carole Roussopoulos qui arrachera la parole de ces femmes à cet étouffant huis clos. Venue de Paris pour les filmer, la vidéaste fait parvenir leurs voix aux passants via des téléviseurs disposés contre la façade paroissiale.

Des enregistrements, Carole tire le documentaire Les prostituées de Lyon parlent. « Ça commence souvent par des problèmes » y témoigne une TDS, pour qui livrer son parcours à l’objectif est plus qu’inouï. Elle ignorait sans doute que ses mots deviendraient le titre d’une exposition, cinquante ans après la mobilisation. L’espace artistique La Salle de bains, au pied des pentes de la Croix-Rousse, valorise ainsi une riche vidéographie incarnant les luttes de la deuxième vague féministe. Une série de rencontres et d’animations accompagne cette installation depuis le début du mois de mars.

La révolution portative

Le programme s’est conclu en beauté le soir du 23 avril, à l’Aquarium Ciné-Café. Dans la petite salle de cinéma associative, le documentaire Delphine et Carole, insoumuses révèle que la pionnière de la vidéo doit peut-être aussi son sort aux « problèmes » qu’elle a rencontrés. Ce qui commence comme la perte de son emploi chez Vogue mène à une Sony Portapak acquise grâce à son chèque de licenciement. En France, seule une personne pouvait jusque-là se targuer de l’achat de la toute première caméra portative. Pour Carole Roussopoulos, c’est le début d’une passion. Et le prélude d’une puissante amitié.

« Pour arrondir les fins de mois, je faisais des stages vidéo le vendredi soir, samedi et dimanche » raconte en 2007 l’artiste à l’écran. Le film repose en exclusivité sur des images d’archives. C’est lors de l’un de ces ateliers qu’elle rencontre Delphine Seyrig. Si elle ne reconnaît pas d’emblée l’interprète de la fée des Lilas dans Peau d’Âne, elles formeront ensemble les inséparables Insoumuses. Callisto McNulty, petite-fille de Carole et réalisatrice de cette ode au combat liant sa grand-mère à l’actrice française, a assisté ce mercredi à la projection. Sur les hauteurs du 4e arrondissement, elle en a ensuite discuté avec Julie Portier, de La Salle de bains, et Valérie Sourdieux-Zoppardo, du festival de cinéma queer Ecrans mixtes.

« C’est avec la vidéo que nous nous raconterons »

Lorsque les lumières s’éteignent, une trentaine de personnes enfoncées dans de confortables canapés rouges et gris apprend comment les deux femmes ont exploité une technologie encore émergente pour dénoncer le sexisme. « Delphine avait compris l’utilisation subversive de la vidéo » relate celle qui l’y avait initiée. Verres à la main, le public découvre des extraits de leurs projets. Dans Sois belle et tais-toi !, des personnalités comme Jane Fonda exposent le machisme du milieu cinématographique. SCUM Manifesto met à l’honneur le texte enragé de Valerie Solanas, tandis que Miso et Maso vont en bateau répond avec humour à des propos misogynes tenus à la télévision. A la suite du manifeste des 343, Y’a qu’à pas baiser capture l’avortement clandestin de Marie-Thérèse pour réclamer la libération sexuelle et reproductive.

L’œuvre de Callisto, écrite avec sa mère et son oncle Alexandra et Geronimo Roussopoulos, part d’une maquette que leur célèbre parent laisse derrière elle à son décès. A l’origine centré sur Delphine, ce documentaire inachevé s’est transformé en un récit collectif. Celui d’un binôme anticonformiste. Celui de toutes les femmes des années 1970 qui ont fait alliance pour que leurs successeuses puissent se faire entendre. Celui du « nous » dans la phrase la plus emblématique des Insoumuses : « c’est avec la vidéo que nous nous raconterons ».

Article signé par Cecilia Adrián Tonetti

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