Depuis quelques semaines les apprentis sorciers du « self-défense » transforment les rues commerçantes en stands de tirs, revisitant par-là le fameux : « Aux armes citoyens ! ». Si les alchimistes du passé risquaient de se retrouver frappés d’une mise à l’index, de nos jours on lève le doigt pour imiter Charles Bronson…
Acte 1 : 22 août dernier, deux malfaiteurs sortent du bureau de tabac qu’ils viennent de braquer. Un homme, qui revient de la plage avec sa fille et sa petite fille, les voit sortir et monter sur une moto, armes en bandoulière. Ni une ni deux, le conducteur décide de transformer sa voiture en véhicule de l’agence tous risques, et les prends en chasse. Peu importe qu’il y ait deux passagers, dont un enfant de dix-huit mois à son bord, ou que des piétons traversent les rues. Notre homme renverse la moto et sort, une bombe lacrymogène dans une main, une batte de base-ball dans l’autre. On en vient aux mains, un coup part, et monsieur Blondel, jeune retraité, meurt d’un tir de fusil dans l’abdomen.
Acte 2 : 11 septembre, un bijoutier de Nice, sort dans la rue de son commerce, et abat l’un de ses deux braqueurs d’une balle dans le dos. La rue devient la scène d’un western spaghetti, et cette fois, la victime meurt d’une balle d’un calibre suffisamment puissant pour traverser le dos et se loger dans le cœur. Heureusement, aucun passant n’est touché, ni par le tireur, ni par les braqueurs qui ne ripostent pas. Nous sommes, rue d’Angleterre, bien loin de la promenade des anglais…
Acte 3 : 29 septembre, un gérant de PMU de Marseille voit débarquer trois individus armés, et déterminés à braquer l’établissement. Celui-ci les enferme grâce à une gâche électrique sur la porte. Les malfaiteurs se sentant piégés se mettent à braquer les clients, puis l’employé sort un fusil à pompe et tire à deux reprises. L’un des malfrats ne pourra s’enfuir avec ses comparses, puisque blessé avec fracture. Encore une fois, les clients ont eu de la chance que, dans la panique, le bar PMU « des pins » ne se soit pas mis à sentir le sapin…
Bilan des courses en à peine plus d’un mois, un homme à la retraite, et un mineur de dix-sept ans sont morts. Plusieurs piétons, badauds, clients, passants, hommes, femmes et enfants, se sont vus témoins de scènes de tirs dans la rue.
Il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos tous les acteurs de ces drames. Et la première responsabilité incombe effectivement à ceux qui viennent, armés pour dévaliser des commerçants. En outre, il ne doit pas se trouver de situation plus stressante que de se voir menacé par une arme, quelle qu’elle soit, surtout si l’on est là pour travailler et gagner sa vie.
Seulement, les atteintes aux biens ne justifient certainement pas les atteintes aux personnes. Peut-on parler de justice, d’un coté comme de l’autre, lorsque l’on tue, et l’on meurt pour une poignée d’euros et quelques cartouches de cigarettes ?
Bien des esprits confondent la légitime défense et l’autodéfense. Aussi, un petit rappel à la loi s’impose.
Art. 122-5 du Code de Procédure Pénale :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.
N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction. »
En clair, après qu’un délit, ou qu’un crime, ait été commis, fût-il dans la minute précédente, la légitime défense devient caduque, et rien ne permet de changer la poudre d’escampette en poudre à canon. Rappelons que, dans les trois cas, les malfaiteurs quittaient les lieux de leurs méfaits, et se faisant, rendaient l’article 122-5 bien difficile à invoquer.
Et nous avons là, la pleine responsabilité des différents journaux papiers et télévisés, car on peut penser qu’il y a un fil conducteur entre le drame du 22 août, et ceux du 11 et 29 septembre. Effectivement nous avons été abreuvé de ce discours lénifiant sur le héros du 22 août. On nous a servi alors l’exemplarité de l’acte, et le courage de la victime. Gageons que ceux-là mêmes qui l’on encensé aurait été les premiers à le fustiger s’il n’était pas mort. Comment aurait-on fait son portrait si un passant se faisait renverser, ou prenait le coup de fusil ? Que dire aux parents de la petite, à l’arrière, si elle se faisait blesser, ou pire, dans le feu de l’action ? Et quelle retraite aurait été celle de monsieur Blondel, si le choc de sa voiture sur le scooter des fuyards, devenait l’occasion de heurter ou tuer un tiers au mauvais endroit au mauvais moment ? Le héros se serait vu transformé en zéro.
Autant de questions que l’on peut se poser, pour peu que l’on sorte du discours des grands médias nationaux qui dans leur sainte « bête attitude », ont sanctifié le défunt sur l’autel cathodique de la surenchère pour l’audimat en rendant un hommage post-mortem en forme de boite de Pandore, dont rien de bon ne sortira.
En effet, si nous suivons cette logique de l’autodéfense, par procuration qui plus est, notre société s’achemine vers un modèle ultra violent. Nul besoin d’invoquer madame soleil pour savoir ce qui s’y passera. Les braqueurs tireront immédiatement pour couvrir leur retraite… Il faudra porter un gilet pare balle et casque lourd, dès que l’on marchera dans une rue avec une bijouterie, un PMU ou un bureau de tabac… Et ne parlons pas du client qui prendra un tir pour avoir sorti trop vite son argent de sa poche revolver…
Aussi, plutôt que de demander aux citoyens de se transformer en héros de BD façon Marvel, certains journalistes seraient bien inspirés de savoir ce que font les quatre fantastiques, à savoir les Ministres de l’Intérieur et de la Justice, le Premier ministre et monsieur le Président.