La conférence introductive, intitulée « société de la confiance, société de la défiance » a plongée l’hémicycle dans le vif du sujet. Entre constat amère d’une communauté nationale au bord de l’implosion et message d’espoir pour le futur, nos deux interlocuteurs nous ont livré leurs analyses. Première partie avec Yann Algan.
Yann Algan, économiste, auteur deLa fabrique de la défiance, prévient: « malheureusement, mon constat sur le malaise de la société française risque de plomber l’ambiance ». L’analyse des maux est un préalable essentiel à toute recherche du traitement. M.Algan dresse un diagnostic loin des clichés originaux dans le dessein d’une remise en cause sociétale profonde.
En premier lieu, l’enseignant officiant à l’IEP de Paris balaye le paradigme simple qui veut que l’argent fasse le bonheur. En effet, en se basant sur les données de l’OCDE, l’universitaire constate que la problématique du revenu n’est pas une raison valable pour expliquer le mal être de la société française. La France est l’un des pays au revenu moyen le plus élevé et avec un taux de pauvreté des plus reculé. Et pourtant, le mal est réel. De nombreux indicateurs objectifs permettent de saisir cette souffrance communautaire : taux de suicide, hausse constante de la consommation d’antidépresseurs…
L’économiste estime que la source du mal-être est à chercher dans une faiblesse de nos relations sociales. Desquelles découlent une absence de réciprocité et de coopération entre les citoyens. Pour expliquer ce mur qui s’érige progressivement entre les membres de la communauté, M.Algan donne deux clefs d’interprétation.
Un français sur trois fait confiance à son concitoyen
D’un côté, il met en cause le peu de confiance qui existe entre les français. Seul un français sur trois fait confiance à son concitoyen. Prenant appui sur les études portant sur « les jeux de confiance », l’intervenant explique que le niveau de confiance entre les individus influe sur la sensation de bien-être des Hommes. Ce manque de confiance peut engendrer une réelle défiance envers ses coreligionnaires, avant garde d’une défiance envers les institutions.
La seconde clef pour comprendre ce mal-être est à chercher dans l’essence même de la société française et de son organisation. Yann Algan met vigoureusement en cause la structure hiérarchique sur laquelle est basée la société française. Dès l’école primaire, le plan vertical se dessine. La France est – avec le Japon – le pays qui impose le plus de cours magistraux au détriment des travaux collectifs. Seulement un étudiant français sur quatre à déjà travaillé en groupe avant l’âge de 14ans. Ce déséquilibre est l’un des plus importants des pays de l’OCDE. Le manque d’autonomie entraîne par conséquent un manque de confiance, premier fondement d’un manque de coopération entre les hommes. Pis, ce modèle vertical se retrouve au sein de l’entreprise. Là encore, la France pointe dans les derniers rangs en terme d’autonomie et de possibilités d’initiatives des employés. Par ricochet, notamment car l’entreprise est l’un des lieux où le citoyen passe une bonne partie de son temps, ce manque d’autonomie peut là aussi engendrer une réelle défiance envers les pouvoirs publics et les institutions.
Le conflit d’intérêt est la gangrène de la chose publique
En effet, le manque de confiance envers nos politiques s’accroît par une pratique opaque de la chose publique. Par exemple, M.Algan somme nos responsables publics de légiférer d’urgence sur la notion de conflit d’intérêt, gangrène de la politique. La confiance se construit difficilement mais peut se détruire rapidement, notamment dans le cadre d’une délégation de pouvoir.
En dépit de ce constat sévère, le lauréat du prix du livre d’économie 2008 met en avant certaines solutions : il propose de réfléchir sur une nouvelle politique de management au sein de l’entreprise, une réelle mobilisation sur la politique éducative, pédagogique et d’engagement ainsi que de développer les qualités des relations sociales dès 3-4ans.
En somme, Yann Algan résume : « La confiance ne peut pas se construire sans des personnes qui s’engagent. Construire la confiance, c’est réduire la distance sociale ».