À moins d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle 2022, seuls 55% des votants déclarent que leur choix de candidat est définitif. Avec la multitude de candidats en lice, certains citoyens utilisent des outils parfois contestés : les sites d’aide au vote.
« J’ai ouvert Elyze avec mes amis et on a passé la soirée à débattre sur les mesures des différents candidats ». À l’approche de l’élection, Noé, 25 ans, a été séduit par le « Tinder de la présidentielle ». L’application lancée en janvier 2022 a déjà célébré ses 2 millions de téléchargements. Sur Elyze, 500 propositions faites par les candidats sont affichées anonymement. Les utilisateurs doivent quant à eux swiper à droite ou à gauche, en fonction de leur avis sur les différentes mesures. Après avoir balayé l’écran une cinquantaine de fois au moins, un classement en pourcentage s’établit. « Je matche à 41% avec Nathalie Arthaud alors que je connaissais à peine cette candidate », s’étonne Noé.
Dans cette course présidentielle, où 12 candidats se disputent une place unique à l’Elysée, l’incertitude règne encore chez les votants. Une enquête IPSOS de janvier 2022 révèle que parmi les personnes certaines d’aller voter, seules 55% d’entre elles déclarent que leur choix de candidat est définitif. Cela pourrait en partie expliquer l’engouement que connaît Elyze, notamment chez les jeunes. D’autres sites proposent de comparer les programmes de façon croisée. Programme Candidat, lancé en 2021 et totalisant près de 55 000 utilisateurs depuis, souhaite aider les citoyens à faire leur choix « de manière digeste ». La lecture des programmes n’est effectivement pas toujours facile. En 2017, le livre-programme de Jean Lassalle comptait 90 pages, 100 pages pour le PDF avec les mesures proposées par François Fillon et 3h45 de vidéo pour le candidat François Asselineau.
Un besoin de simplification
« J’ai déjà survolé quelques programmes, mais n’en ai jamais lu un seul en entier. Entre mon travail et mes études, je n’ai pas de temps à y consacrer ! » Noé est loin de faire exception. Selon le sondage OpinionWay « Les Français et les programmes électoraux » de mars 2017, 31% des français déclarent ne pas lire les programmes des candidats. Pour les 18-24 ans, cette part s’élève à 54%. Tilkee, spécialisé dans le tracking des comportements de lecture de documents numériques, révélait en 2017 que le temps de lecture moyen d’un programme était de 3’43 et que 36% des français stoppaient leur lecture avant même la fin du sommaire.
Les comparateurs de programmes comme celui du Monde, de l’Ifrap, ou de Programme Candidat, mais aussi les sites d’aide au vote comme Elyze, La Boussole présidentielle ou Politest partagent alors la même volonté. Joint par téléphone, Thomas Vitiello, enseignant à Sciences Po, la résume ainsi : « Les sociétés dans lesquelles nous vivons sont de plus en plus complexes, dompter le flux d’informations l’est aussi. Ces outils proposent de faire gagner du temps. Leur succès montre qu’ils répondent bien à une demande du corps électoral. » Mais tout le monde ne voit pas cet argument de gain de temps du bon œil.
Des outils contestés…
Sur Twitter, des internautes soupçonnent Elyze de favoritisme : en acceptant autant de propositions d’Emmanuel Macron que d’un autre candidat, l’actuel Président arrive systématiquement en haut du classement. Noé a également remarqué des incohérences sur l’application : « Certaines de mes réponses sont comptabilisées deux fois. Ça fausse sûrement mon classement. » Notons aussi que sur Elyze et d’autres sites d’aide au vote, avant que la liste officielle des candidats ayant obtenu les 500 parrainages soit établie, les candidats moins médiatisés manquaient à l’appel.
Un blogueur souhaitant rester anonyme explique que « les comparateurs sont nuisibles et réducteurs ». Julien, 43 ans, plussoie : « Je ne comprends pas qu’on se serve de ce genre d’outil. À quoi servent-ils, si ce n’est à interpréter les réponses à vos questionnements selon un prisme qui n’est pas le vôtre et dont vous ne savez rien ? » Rien de tel que « prendre le temps d’entendre les différents candidats, lire leur programme et se faire une opinion soi-même » nous confie t-il.
Contactés par mail, Andy et Quentin, les créateurs de Programme Candidat, qui proposent aussi un test de positionnement, précisent pourtant ne pas essayer « de faire passer d’idées ou de parti politique ». Leur volonté est de permettre aux néophytes de s’intéresser à la politique. Les utilisateurs arrivent majoritairement sur le site via la simple recherche Google « Pour qui voter présidentielle 2022 test » : « C’est un outil qui aide à faire son choix. Nous ne pouvons pas retranscrire chaque nuance ». 7 à 10 propositions par thématique (écologie, emploi, sécurité et justice…) sont intégrées dans le comparateur. Les développeurs font leur sélection sur la base des mesures les plus mises en avant par les candidats et leurs équipes.
… Qui font tout de même effet
Quel que soit le regard porté sur ces outils, leur impact est à prendre en compte. « Des enquêtes menées au Pays-Bas et en Allemagne démontrent un effet positif sur les publics non politisés, particulièrement les jeunes. Cela les incite à s’informer, les stimulent dans leur réflexion, et ça se traduit parfois en vote », explique Thomas Vitiello. Également responsable scientifique de La Boussole Présidentielle, un dispositif élaboré par le Centre de recherche politiques politiques de Sciences Po (CEVIPOF) permettant de se positionner dans le paysage électoral, il précise qu’il ne faut pas généraliser l’impact de ces outils sur les publics. « En 2012, nous avons collecté environ 4000 retours parmi les centaines de milliers d’utilisateurs. ⅓ des répondants affirment que la Boussole n’a eu aucun impact et ⅓ estiment que cela les a poussés à chercher d’autres informations. Parmi le tiers restant, 25% confient que le site les a aidés à choisir leur candidat, et 5% ont changé d’avis par rapport à leur choix de départ. »
L’heure est encore aux comparaisons des nombreux programmes. Les citoyens et citoyennes ont encore jusqu’au 10 avril 2022 pour se décider. Mais le choix de candidats pourrait être réduit en raison du possible retrait de Jean Lassalle annoncé sur Twitter, après avoir été écarté du débat “Face à la guerre” sur TF1 le 14 mars.