À la tête de la liste « Ensemble » qui regroupe le Parti Communiste et La France Insoumise, Cécile Cukierman représente une gauche déterminée à détrôner Laurent Wauquiez. La sénatrice de la Loire souhaite plus de justice sociale et le retour d’un lien entre l’ensemble des territoires régionaux.
Membre du Parti Communiste Français, vous êtes élue Conseillère régionale Rhône-Alpes en 2004 puis d’Auvergne-Rhône-Alpes en 2015. Vous êtes également sénatrice de la Loire depuis 2011 et vous occupez la fonction de Vice-présidente de la commission des Affaires économiques du Sénat. Si vous êtes élue Présidente de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, comment allez-vous gérer la passation de pouvoir ?
Bien évidement, la loi s’impose, donc je quitterai mon mandat parlementaire pour exercer ce mandat d’exécutif régional. Mais j’ai un regret, à l’heure où nous sommes en train de discuter au Sénat d’un grand texte très important pour les collectivités territoriales qui vise à renforcer l’engagement politique de proximité au service d’un territoire, il n’y a plus de sénateurs en situation d’être dans les exécutifs locaux. C’est aussi vrai au niveau de l’Assemblée nationale. Mais la loi doit s’appliquer et on ne la discute pas une fois qu’elle est promulguée.
Vous pensez donc qu’il faut modifier la loi sur le cumul des mandats ?
Il y aurait besoin d’une véritable évaluation sur cette loi des cumuls de mandats. On a beaucoup stigmatisé le cumul des parlementaires et aujourd’hui, le cumul se retrouve chez les élus locaux. Je pense que l’on a besoin d’un temps serein, loin de tout populisme, de toute stigmatisation des uns et des autres, pour rendre plus efficace, plus démocratique et plus en lien avec les citoyens, la gestion des collectivités territoriales et du Parlement.
Pour ces élections régionales, vous représentez à la fois le Parti Communiste et La France Insoumise. Quel sens donnez-vous à cette candidature ?
On se présente avec l’ensemble de mes colistières et colistiers pour présenter un projet de gauche qui repose en priorité sur la question de la justice sociale, de la problématique de l’emploi, sur le besoin d’avoir des politiques publiques qui protègent la nature et pour une construction démocratique des politiques publiques qui partent des réalités vécues de chacune et chacun. Nous avons douze départements dans notre région et il y a mille et une façon d’y vivre. Nous avons besoin de prendre en compte les spécificités au cœur de la ville de Lyon, tout comme à Vénissieux, à Vaulx-en-Velin ou encore à Aurillac. Il faudrait partir de ces réalités vécues pour construire des politiques publiques qui rassemblent, qui créent du commun au lieu de diviser les uns et les autres. Je crois aussi que l’on a besoin de conforter ce que l’on fait en matière de tourisme, de politiques culturelles, sportives, et plus largement, de la vie associative. Elle permet de créer ce lien dans tous nos territoires et de remettre de l’humain pour construire justement les politiques dont ont besoin les populations.
Pour vous, existe-t-il une identité régionale Auvergne-Rhône-Alpes ? Considérez-vous qu’elle a été incarnée par Monsieur Wauquiez ?
Je ne sais pas ce qu’est AuRA ; je crois qu’il y a une région Auvergne-Rhône-Alpes, mais je ne crois pas qu’il y ait une identité. C’est une institution qui d’ailleurs a été créée de toute pièce sous le précédent quinquennat, avec une volonté très forte de métropoliser l’aménagement du territoire et finalement de gommer nos différences. On doit pouvoir partir de ces différences et les respecter, car c’est une richesse d’avoir des territoires différents. On doit pouvoir construire les politiques que l’on souhaite sur l’ensemble des territoires.
Inévitablement, en créant ces grandes régions, on a offert des terrains de jeux politiques à ceux qui les administrent aujourd’hui. Ce serait mentir que de dire le contraire. On a permis à Laurent Wauquiez d’incarner politiquement cette région qui n’existe pas et qui n’est pas ressentie en tant que telle par ses habitants. Je regrette que ça soit sous un quinquennat de gauche que l’on est finalement fragilisé la place des communes et favorisé des grandes régions qui visent plus à éloigner la décision publique que de la rapprocher. Pourtant, il me semble que l’enjeu dans notre démocratie serait le contraire et la crise démocratique que nous traversons le prouve. Mais une fois qu’elles existent, on fait avec ! Je pense que nous sommes en capacité de reconstruire au plus proche. On est en capacité d’avoir des comités qui permettent de discuter avec les citoyens et les usagers des besoins en matière de mobilité. On est en capacité d’avoir un schéma d’aménagement du territoire qui se construit non pas en réunissant quelques grands élus et grands acteurs comme il a été fait auparavant, mais en construisant avec les citoyens et citoyennes. Cela prend plus de temps, la démocratie prend du temps et est exigeante. Mais il ne faut pas sacrifier ce temps là. Parfois, il vaut mieux prendre six mois de plus pour offrir les politiques indispensables pour les cinq ans suivants, plutôt que de prendre très vite des décisions qui ne répondent pas aux besoins des populations.
Si l’identité régionale AuRA n’existe pas, pensez-vous qu’il y a une identité pour chacun des territoires ?
Je n’oppose pas les territoires entre eux. Il n’y a pas la ruralité contre l’urbain, ni le centre-ville contre la banlieue. Il y a plusieurs territoires dans lesquels on doit pouvoir vivre bien. Je pense que la région Auvergne-Rhône-Alpes est une mosaïque. Quand on a une mosaïque, il y a deux possibilités : soit on mélange tout et on uniformise, soit on se dit avec beaucoup d’humilité, que la politique publique est d’être ce lien qui va faire ressortir toutes les couleurs de la mosaïque. Je veux être ce lien et permettre à chacun d’être fier de lui. Je ne souhaite pas enlever les emplois de Lyon pour les mettre ailleurs, je ne souhaite pas voir les emplois d’un département comme la Loire partir pour aller dans la région lyonnaise. Je veux que l’on puisse positionner, relocaliser et développer l’emploi dans tous les territoires. Excusez-moi, ce n’est pas très moderne, mais c’est ce que l’on a pu faire au XIXe et au XXe siècle lorsque notre région était une terre d’innovation. Par ailleurs, nous sommes la première région montagneuse de France, cela a des atouts et des handicaps. Mais pendant des années, nous avons su relier les territoires entre eux, créer de l’emploi. Je crois que l’on doit repartir de ces réalités en accompagnant chacun pour permettre du développement économique et donner de la formation professionnelle dans tous les territoires.
Quel bilan tirez-vous de la mandature de Laurent Wauquiez ?
Sans surprise, c’est un bilan que je n’approuve pas. C’est un homme de droite, je suis une femme de gauche. Une politique ne peut pas être que de couper des rubans. Une politique, c’est aussi de la présence humaine et on ne peut pas, au nom de l’investissement, sacrifier des aides aux associations pourtant créatrices d’emplois et de sécurité dans beaucoup de territoires. On ne peut pas supprimer la formation professionnelle, parce que ce n’est pas « important ». Au bout de cinq ans de mandature Wauquiez, notre région a perdu énormément d’emploi. Maintenant, on a besoin de former les femmes et les hommes, ceux qui ont un emploi comme ceux qui n’en n’ont pas, pour pouvoir anticiper les mutations économiques. Cela demande des moyens humains. Je crois que le vrai désaccord est sur ce point : comment est ce que l’on aborde les uns et les autres notre région ? On a besoin selon les enjeux de différentes dépenses. Ce débat est parfois difficile à cerner mais il est fondamental. Si demain on crée des maisons de santé et qu’il n’y a pas de médecins dedans, on aura fait des investissements qui ne servent à rien. Moi je veux que la Région protège les plus fragiles, qu’elle remette du pouvoir d’achat, qu’elle redonne de la justice sociale et qu’elle permette un développement économique au service de l’intérêt général. Force est de constater qu’à vouloir faire des économies de fonctionnement pendant tout ce mandat, le bilan de la politique régionale est une réduction de l’offre de formation, tant dans sa diversité que dans sa présence territorialisée. Je le redis : il y a des dépenses de fonctionnement qui peuvent être saines parce ce qu’elle sont utiles pour les femmes et les hommes, d’autres ne le sont pas par principe.
Certains territoires de la région nécessitent de forts investissements, car ils ont été délaissés pendant longtemps, notamment l’Ardèche par exemple. Est-ce que vous avez identifié des zones au niveau de la Région qui ont besoin de rénovation ?
En matière économique, il y a besoin d’investir partout. Sur la question des lycées, il y a aussi besoin d’investir dans les départements où la démographie est plus importante. Par exemple, je suis allée à Neuville-sur-Saône et aujourd’hui, il y a besoin d’un lycée professionnel dans ce secteur. Il ne peut pas y avoir uniquement des lycées de banlieue dans lesquels personne ne veut aller. Cette problématique s’étend en Savoie et en Haute-Savoie, où il y a besoin de lycée supplémentaire.
Sur la question des mobilités et du train, il faut faire revenir le train et ce n’est pas forcément cher ! Aujourd’hui, tous les trains circulent en Ardèche, mais ils ne s’y arrêtent pas. C’est un problème. On a des infrastructures de chemins de fer disponibles ; c’est vrai pour l’Ardèche, pour la partie sud du département du Rhône et pour la Loire (partie entre Condrieu jusqu’à Givors). Nous sommes en capacité de mettre des trains avec des investissements assez minimes en reprenant les quais là où le besoin s’en fait sentir. C’est une question de volonté : est-ce que demain on remet des trains ou est-ce que demain on continue de dire aux habitants de ces communes « vous vous déplacez en voiture ». En sachant que cet investissement peut être fait dans les mois qui suivent l’élection au Conseil Régional et d’autant plus qu’en 2022, il faudra rétablir la convention TER avec la SNCF. Tous les enjeux de lignes et de dessertes pour les années à venir se jouerons à ce moment.
Au vue de tous ces enjeux de mobilité, qu’est ce que votre liste « Ensemble » préconise pour relier toutes les villes de la région ? Pensez-vous à un reliage en étoile ?
Le problème du système en étoile, c’est qu’il ne répond pas aux besoins de notre région : tous le monde ne vient pas travailler sur Lyon. On parle beaucoup du RER pour notre région. On voit les dégâts aujourd’hui dans la région parisienne : il n’y a que des trains qui passent par Paris alors que le besoin des trains qui vont de banlieues à banlieues perdurent. Je crois que l’on a besoin de garder cette diversité, puisque lorsqu’on habite à Saint-Étienne, on n’a pas forcément besoin d’aller dans Lyon. Il faut parfois même partir dans l’est lyonnais pour constater que nous sommes dans l’incapacité d’avoir ce genre d’infrastructures. La question est de prendre en compte les étoiles ferroviaires dans les grandes métropoles et les grandes villes de notre région, mais aussi de pouvoir relier les villes moyennes et de mailler un territoire. Aujourd’hui, la mobilité ne se résume pas qu’aux trains. On ne fera pas passer de trains dans les 4 000 communes de la région, ce n’est pas vrai. On a besoin de travailler avec les intercommunalités pour avoir une armature ferroviaire, y compris sur les mobilités qui existent (car, co-voiturage). Il s’agit de faire en sorte que les gares soient de véritables lieux d’intermodalités où l’on permet à chacune et chacun, selon son déplacement et son éloignement, d’avoir accès à toutes les mobilités pour lui faciliter le trajet.
En ce qui concerne les quartiers, comme par exemple celui de Montreynaud à Saint-Étienne ou de la Reyssouze à Bourg-en-Bresse, avez-vous des projets d’aménagement ?
La région n’a pas a aménager le territoire des communes. Il faudrait contractualiser avec les communes concernées pour comprendre le projet et comment la région peut intervenir dans le cadre de son aide aux communes dans un certain nombre de quartiers. Là aussi, l’aide de la Région au sein des quartiers populaires n’est pas simplement l’aménagement. L’échec des quarante dernières années est d’avoir fait uniquement de l’aménagement. Il y a besoin de reprendre des architectures, de détruire des bâtiments pour en reconstruire des nouveaux à taille humaine et qui répondent au confort d’aujourd’hui. L’architecture, tout comme la politique, doit s’adapter à la société et non pas l’inverse. Si demain, nous construisons des bâtiments sans présence humaine, les problèmes de délinquances demeurent. La Région a besoin d’accompagner davantage les associations qui font la vie dans ces quartiers. Récemment, j’étais à Échirolles dans les quartiers sud. Il y avait une association dont le rôle est le droit alimentaire et l’accompagnement scolaire. On a besoin de travailler avec toutes ces associations. Je pense qu’il faudrait contractualiser nos partenariats avec les associations à l’échelle de trois ans, pour ne pas mettre en difficultés les associations et pour leur donner un minimum de fonctionnement afin d’agir au quotidien. Au bout d’un an ou deux, on fait le point ensemble : on vérifie à quoi a servi l’argent de la Région. S’il y a un cercle vertueux, la Région investira davantage.
Pour la question de la sécurité dans les quartiers, il s’agit là aussi, comme dans le secteur public, de présence humaine. On est en insécurité dans un quartier quand il n’y a plus personne sauf les dealers. Remettons du dynamisme associatif, de l’envie d’y vivre et d’occuper l’espace public. C’est comme cela qu’on regagne la citoyenneté. Battons nous auprès de l’État pour retrouver les moyens dans nos commissariats. Renforçons nos liens avec les collectivités pour en amont faire de la médiation dans tous les sens du terme et donner l’envie à ceux qui y vivent de pourvoir rester plutôt que de vouloir partir.
En tant que Présidente de Région, pourriez-vous faire pression sur l’État pour régler ses problématiques de sécurité ?
Je suis très à l’aise sur ça. Je pense qu’un Président ou une Présidente de Région est un acteur politique fondamental. Quand on est Président de la 2e Région de France, on se mobilise et on se bat.
Pour la sécurité, il y a deux solutions : soit on fait de l’agitation, soit on prend cette question à bras le corps. Il ne faut pas oublier que les premières victimes de l’insécurité sont les habitants des quartiers populaires. C’est celui ou celle qui se lève le matin et qui constate sa voiture brûlée, celui ou celle qui change de trottoir parce qu’il y a toujours au même endroit un problème. Années après années, les effectifs dans nos commissariats se sont réduits. Si on veut travailler la question de la sécurité avec force, ce n’est pas compliqué : pendant deux jours, on fait un état des lieux des besoins dans les commissariats. Le troisième jour, nous allons au ministère de l’Intérieur et nous demandons les moyens nécessaires. C’est ça aussi le rôle d’une collectivité.
Inès Apetovi