À la tête de la liste « Ensemble » qui regroupe le Parti Communiste et La France Insoumise, Cécile Cukierman représente une gauche déterminée à détrôner Laurent Wauquiez. La sénatrice de la Loire souhaite plus de justice sociale et le retour d’un lien entre l’ensemble des territoires régionaux.
Retrouvez la première partie de l’interview ici.
Avec la crise sanitaire, les lycées ont du fermer un certain temps. Le décrochage scolaire a fortement augmenté, plus encore pour les milieux défavorisés. Comment le PCF et LFI veulent lutter contre ce fléau ?
Tout d’abord, cette crise sanitaire nous est tombée dessus et personne ne l’a vu venir. Inévitablement, cette crise révèle d’autres problématiques. Malheureusement, le décrochage scolaire existait avant la crise, il n’a pu donc que s’aggraver fortement. Quand on est au pic d’une crise, il y a des adaptations à faire et nous n’étions pas en mesure de laisser les lycées ouverts. Le problème est qu’il n’y a pas eu anticipation pour la suite. Il y a eu une défaillance de l’Éducation Nationale.
Dans ce mandat régional, je pense qu’il fallait se poser la question de l’équipement : pourquoi ne pas équiper chaque lycée d’une tablette ou d’un ordinateur ? Cette action serait à travailler avec la communauté éducative pour que chacun ne soit pas en rupture avec ces outils du numérique que certaines familles ne possèdent pas. Aujourd’hui, on a des élèves décrocheurs. Cela veut dire qu’on a besoin de renforcer le travail avec les missions locales afin de reprendre une médiation et raccrocher les jeunes qui ont été exclus. Il faudrait commencer par un véritable recensement, faire des partenariats entre les missions locales et l’Éducation Nationale pour développer les dispositifs nécessaires. On peut aussi financer moins de caméras pour financer plus d’équipement pour les lycéens.
Récemment, Farouk Ababsa, tête de liste à la métropole de Lyon, a dénoncé l’absence de moyens pour la formation professionnelle, notamment pour l’AFPA et la CNAM. Il souhaite injecter plus d’argent dans le secteur public que Monsieur Wauquiez. Pourquoi est-ce important pour vous d’agir en ce sens ?
Pour la formation professionnelle, le problème est la multitude d’acteurs. Depuis plusieurs années et la mandature précédente le confirme, la formation professionnelle est mise à mal par des politiques nationales et régionales en cascade. Le choix qui a été fait lors de cette mandature était de réduire de plus de la moitié ce budget spécifiquement régional pour les différents organismes de la Région. On a besoin de consolider une formation professionnelle publique, car c’est la formation qui est la moins regardante sur la rentabilité. Ce qui ne veut pas dire qu’elle doit être déficitaire. De plus, elle s’inscrit dans un critère d’équilibre et est capable de répondre aux besoins de formation des individus sur tous les territoires.
Quand on parle de formation, on parle de celui qui a besoin de retrouver un emploi mais aussi de celui qui a besoin de changer de voie, ou encore de celui qui a besoin de « monter en gamme » pour répondre au changement du métier, sans forcément changer d’emploi. La formation est à la fois tout cela. L’accompagnement n’est pas le même pour quelqu’un qui n’a pas travaillé pendant plusieurs années que pour quelqu’un qui envisage un changement d’entreprise. On doit pouvoir contractualiser avec les organismes sur l’efficacité de l’offre de formation et sur la territorialisation de celle-ci, pour répondre à tous les défis de demain.
Comment la Région peut-elle participer à la valorisation de l’apprentissage, et surtout, aider les jeunes à se tourner vers un travail plus manuel ?
Il est vrai que cela reste un dossier compliqué. Mais la Région doit contribuer à favoriser le temps de l’apprentissage en lien avec les acteurs sociaux. Je crois qu’il y a des révolutions de mentalités et de société qu’il faut accompagner en profondeur. On relancera l’apprentissage quand on redonnera toute sa place aux industries. Nous savons aujourd’hui et je vais rester sur les emplois industriels marquant de notre région, que dans une PME de métallurgie, de textile ou de plasturgie, les métiers de demain seront très différents des métiers actuels, à cause de la numérisation ou la mécanisation. Nous n’aurons plus les mêmes besoins pour travailler sur une machine demain.
On assiste aussi depuis plusieurs années au départ de nos savoirs faire. Il faut remettre au cœur des territoires la valorisation de ses savoirs faire et redynamiser l’emploi. Il faut être sincère en politique et aujourd’hui nous avons de vraies difficultés. Il faut relancer l’économie pour relancer l’apprentissage.
Au niveau des structures sanitaires, elles ont été fragilisées par la pandémie de COVID-19. Avec les moyens restreints dont dispose le Conseil Régional, comment accompagner les centres de soins ?
J’espère que la prochaine mandature ne revivra pas une période de crise comme celle-ci. Mais il faut être clair, les difficultés existaient avant la crise sanitaire, il y avait des services hospitaliers qui fermaient, des déserts médicaux qui gagnaient du terrain dans tous les territoires, des plus urbains aux plus ruraux. Il y a de plus en plus de citoyens qui n’ont plus de médecin traitant et qui n’ont plus accès au parcours de soin. C’était une réalité avant la crise COVID. Je suis convaincue que l’hôpital public structure et maille un territoire. Même un médecin libéral vous dira qu’il préfère s’installer à côté d’un hôpital.
La crise sanitaire révèle que la Région doit former plus de personnel dans les professions dites sanitaires. Si l’on veut permettre aux personnels soignants de mieux travailler en ayant des temps de travail plus respectueux, il faut qu’ils soient plus nombreux. Ensuite, j’ai noté une véritable souffrance entendue dans les différents hôpitaux où je me suis rendue. J’ai rencontré différents personnels soignants, de l’ambulancier à la secrétaire administrative, car à la différence du gouvernement, je ne fais pas de distinction entre les différents acteurs de la crise. Je pense que face à l’inaction de l’Agence Régionale Santé, on se doit de mettre en place un certain nombre de psychologues pour que le personnel de santé soit soutenu, le temps qu’il faudra. Cela ne règle pas la charge de travail, mais les psychologues permettront de rendre compte de la réalité des soignants. Je veux préserver la vie de chacun notamment de ceux qui nous ont permis de préserver la nôtre pendant cette situation sanitaire.
Troisièmement, il y a besoin d’accompagner d’avantage sur la création de centre de santé. Pour se faire, il faut travailler avec les départements et les intercommunalités qui le souhaite. Il faudrait avoir un véritable maillage des douze départements en matière d’accès au soin pour notre population. Je pense aussi, que la Région pourrait financer les études médicales de plein de jeunes. Je suis pour que l’on adopte un « gagnant-gagnant ». Prônons des bourses avec un engagement, en fonction des besoins que font remonter les départements, pour que ce jeune soit embauché par le département. Je pense qu’il faut donner à voir cette complémentarité, cette capacité à travailler ensemble entre la Région, le Département et les jeunes. Accompagnons les départements dans leur volonté de recrutement. On peut agir très vite pour faire venir des médecins, y compris ceux qui vont avoir leurs concours d’internat et des stages dans les départements concernés par exemple. Travaillons tous ensemble et je suis sûre que l’on peut d’ici deux ou trois ans apporter une réponse à l’ensemble de nos territoires, en matière de présence médicale.
Un autre secteur a été très fortement touché par la crise sanitaire, celui de la culture. Laissé en suspend et sinistrée depuis plus d’un an, que proposez-vous pour relancer le monde culturel et tout particulièrement les structures de proximité ?
La culture vient de vivre une année catastrophique. Sur cette question, il y a là aussi des éléments qui ont émergés maintenant. Il faut remettre à plat. Ce que je propose, c’est l’idée d’un panier culturel que l’on peut faire très vite. Le panier culturel est une aide que la Région pourrait mettre en place d’ici l’été 2022 pour les métiers de la culture, puisque pour nous, c’est une activité essentielle. Les gens ont besoin d’en vivre et d’être payé correctement, pas en fonction des contrats. Tout ce système d’appel à projet ne permet pas de construire la médiation culturelle indispensable avec les différentes populations.
Le panier culturel donnerait trois jours payés aux acteurs de la culture pour qu’ils se mettent à plusieurs (écrivains, musiciens, joueur de cirque etc..) sur un projet, ensuite l’œuvre devrait avoir quatre ou cinq représentations dans des lieux que l’on définit ensemble. Il ne faut pas seulement des œuvres pour les grandes structures, mais aussi pour les villages, dans les EPHAD, les lycées, dans des lieux de proximité où les gens sont réunis.
Au niveau des structures, elles ont besoin d’être aidées si elles forment des lieux de rayonnement et de ruissellement de la politique culturelle dans tous les milieux sociaux et sur tous les territoires. A titre d’exemple, l’opéra de Lyon, a reçu une aide parce qu’il y a un ruissellement social. Il faut réfléchir sur comment faire pour qu’il y ait des tournées régionales de ces œuvres sur la montagne ardéchoise ou dans l’ouest de la Haute-Loire ? Bien évidemment, cette œuvre n’a pas la même dimension, mais la culture est faite pour partir de la réalité des gens. Ce sont des choses nouvelles qu’il faut accompagner.
Il faut enfin travailler la culture pour qu’elle ne soit pas la reproduction d’un modèle d’entre-soi. Je souhaite qu’elle continue par sa création et dans toute sa diversité des esthétismes, à former un apport de richesse pour l’humanité.
On a le sentiment que les élections régionales sont les prémices des élections présidentielles. Comment vous positionnez-vous par rapport à cela ? Pensez-vous que les problématiques sont mises au second plan par rapport aux enjeux nationaux ?
En toute humilité, je n’ai qu’un objectif. Je souhaite devenir Présidente de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Je ne mélange pas tout. On sent effectivement le temps de la présidentielle se rapprocher. Il me semble tout de même que pour les trois semaines qui nous reste avant le premier tour, on reste sur les enjeux régionaux. Je n’en suis pas a ma première élection régionale, cela a toujours été ainsi. Je pense que nous avons besoin de réconcilier la population avec les élus. Ce qui peut être dérangeant, c’est quand les débats de politiciens viennent polluer les débats des élections régionales. Pour l’instant, nous en sommes préservé, quelque soit les listes en présence.
Pourquoi il n’y a pas eu d’union de la gauche ? Quelles ont été les désaccords avec Madame Vallaud-Belkacem ainsi que Madame Grébert ?
La gauche est diverse dans notre pays. Elle a aussi une histoire diverse. Je crois que ce n’est pas en niant cette histoire que la gauche se renforcera. En 2004, en 2010 et en 2015, il y a toujours eu plusieurs listes. Les institutions sont bien faites, puisque nous avons des élections à deux tours qui permettent justement une diversité de listes au premier tour. C’est une dynamique. Quand je regarde dans d’autres Régions, je n’ai pas le sentiment que d’avoir une seule liste de gauche est gage d’efficacité pour gagner. La problématique de l’efficacité et de la réussite d’une politique de gauche va bien au delà de savoir combien de liste il y a.
En tout cas, je défends une gauche sincère, une gauche qui ne renonce pas, une gauche sociale, une gauche qui met l’égalité sociale et territoriale au cœur de mon programme. Nous n’avons pas trouvé de point d’équilibre pour porter suffisamment fort ces exigences d’un ancrage viscéralement à gauche. L’heure n’est pas à la polémique, le rassemblement ne peut pas se faire et cela n’est pas grave.
Sur quelles bases avez-vous négocié avec LFI ?
Sur les bases qui sont celles face aux quelles nous nous présentons aux habitants. Ce programme a été discuté avec LFI, avec Ensemble et avec Génération Climat, mais aussi avec des citoyens qui ne sont pas forcément adhérents de notre parti. Ils nous ont permis de nous retrouver pleinement dans l’écriture d’un programme et dans l’organisation d’une liste.
Comment anticipez-vous le second tour ? Pensez-vous déjà de potentielles alliances ?
Il y aura déjà un premier tour et ensuite, de façon démocratique, il y aura une fusion qui respecte le poids et le rôle ainsi que les qualités de chacune et chacun.
Inès Apetovi