L’abstention a été record aux élections régionales 2021, particulièrement dans les milieux populaires. Paul Bacot, politologue et professeur à Science-Po Lyon, revient sur les facteurs qui ont poussé l’abstention ainsi que sur le vote obligatoire.
C’est un abstentionnisme record pour la 5e république aura marqué les élections régionales 2021. La participation s’est élevée à seulement 34,69% pour le second tour, et 33,28 % pour le premier. Respectivement, c’est 25 et 15 points de moins que pour 2015. Décryptage avec Paul Bacot, Professeur émérite de Science politique à l’IEP de Lyon et ancien membre du Conseil national des universités.
Si en moyenne en France, deux électeurs sur trois ne sont pas allés aux urnes, ce chiffre est plus élevé dans les villes et quartiers où les classes populaires sont le plus présentes. Par exemple, dans la métropole de Lyon, des villes comme Vaulx-en-Velin ou Saint-Fonts ont eu une abstention record. Elle a été de l’ordre respectivement de 88,34 % et 86,62 %. Pour Paul Bacot, « Il n’y a fondamentalement rien de nouveau à cela ». Depuis les premières études de sociologie politique parues dans les années 1970, « ce sont les groupes qui possèdent moins de ressources financières, moins de ressource patrimoniale, scolaire et universitaire, relationnelle, etc. » qui s’abstiennent le plus. Celle-ci peut aussi venir par un manque d’intégration ou de parti pris dans la vie sociale. Plus généralement, ce sont « les groupes que l’on peut qualifier de “dominés” en terme sociologique. On remarque une plus forte abstention chez les jeunes, chez les catégories dites “populaires”, ou chez les femmes. »
Entre manque d’offre politique et d’intérêt
Pour Paul Bacot, bien que ce phénomène qui n’est pas nouveau semble être amplifié actuellement, « il faut [le] relativiser ». Selon lui, il faut prendre en compte d’une part les évènements particuliers qui ont fait baisser la participation comme « le scrutin qui a eu lieu en juin [et] une bonne partie de l’électorat qui n’a pas obtenu pas les professions de foi ». D’une autre part, les élections régionales ont souvent été des élections avec moins de participation, en comparaison aux élections présidentielles : « À tort ou à raison, les gens ne voient pas l’utilité du conseil régional, ni si le changement d’une majorité de gauche ou de droite change concrètement quelque chose. » Il rappelle de plus la responsabilité « des politiciens et du débat publics que de montrer que voter est important et que cela peut changer – ou non – quelque chose. ».
Ces raisons de l’abstention permettent par ailleurs d’expliquer, en partie, le faible score du Rassemblement National pour ces élections : « C’est à la fois un électorat plus populaire que la moyenne et plus jeune que la moyenne. » Par ailleurs, selon un sondage Ipsos du 27 juin, pour les abstentionnistes du second tour, les raisons principalement évoquées sont : « le mécontentement par rapport à l’offre politique nationale et régionale, la méconnaissance de l’institution régionale et manque d’intérêt pour le scrutin. »
« Si les gens ne veulent pas voter, ils ne votent pas »
À la suite des résultats des élections et du taux de participation, plusieurs personnalités politiques ont relancé le débat sur le vote obligatoire, comme Louis Alliot (RN) et François de Rugy (LREM). Celui-ci est déjà en vigueur en Belgique ou dans le Canton de Schaffhouse en Suisse.
Certains politologues voient les avantages de ce principe comme Régis Dandoy au micro de RMC . Paul Bacot, quant à lui, se dit défavorable à cette mesure. Pour lui, si « les électeurs ne veulent pas voter, il ne vote pas. Ce qu’il faut, c’est les convaincre. Puis qu’est-ce que cela voudrait dire que les électeurs votent simplement, et sans conviction, parce que cela est obligatoire ? ». Pour lui, la dimension symbolique du vote serait remise en cause : « Le jour du vote, c’est le jour où le corps électoral et le citoyen se manifeste comme tel, à ses propres yeux et aux yeux des autres ». Il évoque aussi les inconvénients d’un vote à distance « sauf cas particulier ». Les études comparatives sur la question montreraient qu’« il n’y a pas de preuves que cela améliore la participation ». De plus, il met en avant la question du « secret du vote » et de la « sincérité » de celui-ci qui ne pourrait pas être assurée.
Lucas Sadowski