Adaptation moderne de l’épopée de Gilgamesh, cette pièce de théatre est le produit d’une collaboration entre professeurs, artistes, jeunes lycéens et jeunes incarcérés. Les deux semaines de réprésentation au théâtre des Iris à Villeurbanne se sont achevées dimanche 26 Janvier dernier. Plusieurs classes de lycées professionnels ont assisté à la pièce. Pour la plupart des jeunes, c’était une première.
L’épopée de Gilgamesh retrace l’ambition d’un roi sumérien qui, pour acquérir une certaine notoriété et améliorer les conditions de vie de la cité qu’il gouverne, part à la recherche de cèdres du Liban avec son ami Enkidu. Cette histoire symbolise le tempérament de l’homme civilisé: à la fois curieux, créatif, ambitieux, démesuré, puissant. A la fois fragile, hésitant, craignant la nature et voulant braver la mort. Gilgamesh héros ordinaire pose les mêmes questions de fond sur la nature humaine et dénonce à coup de marteaux les problèmes majeurs de notre civilisation.
A savoir les thèmes actuels particulièrement alarmants qui sont traités avec pertinence, provocation et humour. Que ce soit l’exploitation des employés, la marchandisation de l’individu, les licenciements injustifiés, la misère sociale, l’ambition maladive, le désespoir d’une jeunesse, la perte d’identité ou les actionnaires qui mènent allègrement la destinée de tout ce petit monde. Tout est traité avec justesse.
Une pièce ambitieuse
Deux types de héros modernes sont mis en scène: tous deux jeunes mais de classes sociales différentes, aveuglés par le désir de jouissance, de notoriété et d’expansion. C’est grâce à l’argent, pensent-ils, qu’ils vont devenir quelqu’un.
Au delà de cela se dessine une réflexion intemporelle sur la dualité de l’homme qui se fait leurrer par lui même et finit par se perdre. L’amitié et la mort sont certainement des enjeux majeurs de l’œuvre. Amitié brisée par les ambitions respectives, par les prises de risque insensées pour gravir l’échelle sociale, par le désir de jouissance, l’envie de n’être plus minable, ultimement par la mort. Mais quelles sont les véritables valeurs de l’individu?
Celles qui vont le mener pense-t-il à la satisfaction le mènent au désastre. Et avec lui tout son entourage. Les artistes n’ont pas hésité à produire un travail riche et subtil. Volontairement choquant à certains moments, tout en sachant à quel public il s’adresserait. Car tous croient en une même chose : l’art sert la réflexion et ces jeunes aussi peuvent réfléchir. Il faut leur donner les outils pour. C’est à ça que servent les ateliers théâtre.
Une construction à plusieurs grâce à une collaboration entre le Lien Théâtre et un professeur de français, des ateliers de théâtre ont été mis en place en classe de 1ère Bac Pro du lycée professionnel Emile Bejuit, à Bron.
Ces ateliers, au nombre de huit, se sont déroulés sur un peu plus d’un mois. Les comédiens ont présenté leur parcours. Ce qui a beaucoup intéressé les lycéens. Ces heures passées avec la compagnie ont été l’occasion pour eux, de pénétrer l’univers du théâtre. Grâce à une réflexion vivante, à un travail de jeu, à une relation riche entre les jeunes et les artistes, sans oublier la volonté du professeur, de nombreux thèmes ont été traités. La mise en scène au théâtre, le jeu des acteurs, le rôle de la parole, la découverte des émotions, les expressions de la violence, sont autant de sujets qui ont été abordés autour de l’objet d’étude: le mythe. Les jeunes ont aussi accompli un travail d’improvisation et contribué à l’écriture de la pièce. Ils ont dû pour cela se mettre dans la peau des personnages et s’imaginer en situation. Certains parents ainsi que d’autres jeunes en EPM ont également inspiré le travail d’écriture. Ce sont toutes ces rencontres, échanges et efforts qui ont permis de faire émerger une œuvre aboutie pour les artistes et une curiosité nouvelle pour les lycéens. Ces lycéens se sont ensuite rendus au théâtre pour voir le résultat final de la pièce.
Des jeunes attentifs, des professeurs satisfaits
Le théâtre est un monde en soi. Il faut posséder certains codes pour pouvoir le pénétrer sans quoi on n’y trouve d’autre intérêt que de le critiquer. Parier sur la possibilité d’éveiller grâce à l’art et mettre toute son énergie à briser les barrières mentales, c’est ce que réussit quotidiennement à faire la compagnie du Lien Théâtre.
Cela passe par la pratique et la concrétisation d’une œuvre que les jeunes se sont appropriés grâce aux ateliers. Ainsi quand ils voient la pièce ils comprennent ses enjeux sous-jacents, respectent les artistes et leur travail. Ils ont aussi une connaissance plus approfondie et ne se retrouvent pas en face de quelque chose de totalement inconnu qui pourrait les rendre mal à l’aise. Les résultats de cette méthode sont probants et gratifiants: tous les élèves qui ont suivi les ateliers ont apprécié et sont restés calmes et concentrés tout au long de la représentation. Ce qui n’est pas évident pour des adolescents volontiers provocateurs. Ceux qui n’avaient pas eu d’ateliers au préalable ont été moins respectueux quoique tout de même très attentifs dans les moments intenses.
Les professeurs des classes respectives se sont montrés agréablement surpris. Majoritairement, « ils ont aimés ». Un des jeunes est sorti en pleurant, vraiment touché par l’histoire. Et un autre de conclure qu’il avait aimé « parce qu’il s’agissait d’histoire d’amitié et que l’amitié peut toujours être gâchée car l’homme est double. »