À la Viste, dans le 15eme arrondissement de Marseille, un studio de musique bricolé par un habitant illustre l’écart béant entre les besoins culturels locaux et des institutions engluées dans des logiques dépassées. Le rap y devient un outil d’expression et de légitimation pour une jeunesse trop souvent invisibilisée.
Un studio fait maison
Dans une salle du centre social Del Rio, un ordinateur, un micro et quelques mousses acoustiques. Ce studio de musique est l’œuvre du centre social de la Viste est est géré par un bénévole : Mohammed Chaffai, habitant du quartier de la Viste dans le 15eme arrondissement de Marseille mais surtout beatmaker et ingénieur son . “Ici, t’as rien pour faire du son. Pas de matos, pas d’espaces. Tu finis par croire que c’est pas pour toi », raconte-t’il. Avec l’accord du centre social, il a investi son temps pour créer un lieu où les jeunes peuvent enregistrer, expérimenter, se retrouver.
C’est le rap qui résonne le plus souvent entre ces murs. « Le rap, c’est ce qui parle aux jeunes ici. C’est leur langage, leur façon de raconter ce qu’ils vivent, leurs galères, leurs colères, mais aussi leurs espoirs », nous explique t-il. Pour beaucoup, ce genre musical est bien plus qu’un passe-temps : c’est un outil d’émancipation, un moyen de prendre la parole dans une société qui les réduit trop souvent au silence.
Mais ce projet, né d’une urgence locale, ne bénéficie d’aucun soutien institutionnel hormis le centre social. Ce projet existe en grande partie grâce au bénévole. Pourtant, on voit que ça marche : les jeunes viennent, créent, s’expriment, tissent du lien… en posant des flows et des prods signées Cluster ( groupe de rappeurs indépendants Marseillais ).
Des cultures, pas une Culture
Il devient urgent de changer de paradigme. Il n’y a pas une culture unique, supérieure, qu’on viendrait distribuer dans les quartiers. Il y a des cultures plurielles, vivantes. Le rap en fait partie : il reflète les réalités sociales, les luttes, les rêves de la jeunesse. Une habitante du quartier de la Viste, diplômée en médiation culturelle insiste : la culture n’a de sens que si elle est en phase avec les conditions sociales des gens. Sinon, ça reste une vitrine pour les institutions, pas un levier pour les habitants. » La culture est politique par essence et est indissociable des conditions de vie des habitants, des inégalités, des discriminations.
Ce décalage est particulièrement visible dans certaines programmations artistiques adressées à la jeunesse « On ramène de l’art contemporain dans un quartier où beaucoup n’ont jamais eu accès aux institutions culturelles. Résultat : l’offre est souvent perçue comme étrangère, inutile. On impose des modèles culturels qui n’ont aucun ancrage territorial. »
Un espace d’émancipation et de légitimité

Le studio du centre social géré par Mohammed, malgré sa fragilité, offre une réponse concrète. Ici, les jeunes se sentent écoutés. Ils posent leurs textes, ils se forment eux-mêmes au matériel, aux logiciels. C’est un espace où leur culture est reconnue, pas jugée.
Dans un contexte où les habitants des quartiers populaires peinent à se sentir légitimes dans l’espace public et médiatique, le studio devient un outil politique. « Faire du rap ici, c’est dire qu’on existe. C’est affirmer qu’on est capables, qu’on a notre place dans la culture marseillaise ».
Une urgence politique, un studio comme symbole
Les institutions doivent changer. Passer d’une logique de démocratisation à une logique de démocratie culturelle.” Cela veut dire écouter, co-construire, reconnaître la valeur des pratiques locales. Tant qu’on continuera à distinguer une culture “légitime” des autres, on perpétuera des inégalités. Les quartiers populaires ne sont pas des déserts culturels : ce sont des viviers créatifs. Mais encore faut-il leur donner les moyens d’exister. A ce jour, les bénévoles montent un dossier de financement pour rénover le studio de musique.
À la Viste, le studio est devenu un symbole d’espoir et de résistance. Il prouve qu’avec peu, les habitants peuvent construire des espaces de création et de transmission. Mais il rappelle aussi, en creux, l’urgente nécessité de repenser les politiques et institutions culturelles pour qu’elles cessent d’ignorer les voix et les talents des quartiers populaires.
Article signé Jade DUPOND.