Tête de liste aux élections régionales pour l’UDMF (Union des démocrates musulmans français), l’enseignant en lycée public Farid Omeir souhaite que le débat politique se focalise davantage sur la crise sociale que sur l’immigration et l’islam.
Est-ce que vous pouvez vous présenter pour les lecteurs du Lyon Bondy Blog ?
Je m’appelle Farid Omeir, j’ai 34 ans et je suis enseignant en lettres et en histoire-géographie dans un lycée public depuis trois ans. Avant d’être professeur, j’étais journaliste en presse écrite. Depuis dix ans, je suis engagé dans le milieu associatif musulman à Lyon et depuis un an en politique au de l’UDMF. J’ai également deux enfants et je suis marié.
Pourquoi avez-vous choisi de vous engager dans le milieu associatif musulman ? Est-ce en lien avec votre candidature aux élections régionales ?
Très tôt, j’ai commencé dans le milieu associatif car je suis un musulman pratiquant. Je voulais faire des activités au service de la communauté musulmane. En fait, cet engagement auprès de la communauté musulmane m’a poussé à faire de la politique. J’ai constaté sur le terrain et au quotidien, à quel point le culte musulman était en quelque sorte discriminé. Il y a aussi ce sentiment d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de notre tête. Lorsque vous êtes membre d’une association musulmane, vous risquez une dissolution ou une fermeture administrative à tout moment.
On observe que l’islam et les musulmans prennent une place considérable dans l’espace médiatique et l’espace politique, notamment depuis que le Ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin est au pouvoir. Malheureusement, une posture trop souvent péjorative. Notre constat sur le terrain est différent : l’immense majorité des musulmans de ce pays aspire à vivre en paix. Nous aimerions que les hommes politiques s’occupent des millions de chômeurs, des centaines de milliers de personnes mal-logés, de la précarité plutôt que de s’occuper du voile de la maman qui accompagne ses enfants à l’école. C’est le message que nous souhaiterions faire passer aux Français.
Votre parti est régulièrement accusé de communautarisme, c’est aussi la qualification que vous a réservé le ministère de l’Intérieur. Vous vous revendiquez pourtant comme un parti laïc qui s’adresse à tous, musulmans ou non. Comment expliquez-vous cette étiquette qui vous poursuit ?
Officiellement, le Ministère de l’Intérieur ne nous a pas qualifié de communautaristes. La déclaration officielle soulignait qu’il y avait des listes communautaristes, mais il n’a pas été dit publiquement que l’UDMF était concerné. Nous ne sommes pas naïfs, nous pensons que notre parti est concerné mais nous n’avons pas officiellement ce qualificatif. Néanmoins, ce n’est pas seulement le parti qui est qualifié de communautariste, mais la communauté musulmane en permanence. « Communautariste », « islamiste » ou le dernier mot à la mode : « séparatiste »… Ce n’est pas étonnant que lorsque l’on s’organise politiquement, on reçoit les mêmes accusations. Bien sûr, nous nous adressons à l’ensemble des français, sans oublier le fait que l’on porte un message citoyen à la communauté musulmane, celui de l’engagement politique. Les hommes politiques savent ce qui caractérise les quartiers populaires et la communauté musulmane : l’abstention. C’est en effet une réalité dans les quartiers populaires, les taux d’abstention s’élèvent à 70-80% lors des élections. Les hommes politiques ont également compris que de taper sur cette communauté est porteur politiquement. Cela permet d’obtenir des voix à droite et à l’extrême-droite. En même temps, la dite communauté ne les sanctionne pas politiquement. C’est un bénéfice pour eux. Il faut se mobiliser impérativement. Je ne dis pas que le vote changera la donne, mais il faut qu’il y ait un rapport de force qui s’installe. Je souhaite envoyer ce message qui rappelle que l’on ne peut plus nous taper dessus.
La laïcité et la République sont deux notions qui nous conviennent parfaitement ! Simplement, il faut qu’elles soient respectées telles qu’elles ont été édictées. Pour moi, ceux qui nous gouvernent ne respectent pas le principe républicain lorsqu’ils nous discriminent. Par exemple, il y a une ingérence de l’État face à la Charte des imams. Cette charte n’a aucune valeur juridique, pour autant, on oblige les imams à la signer sinon ils seront sanctionnés. Où est le principe de laïcité ?
Par ailleurs, la séparation de l’Église et de l’État nous convient parfaitement. De la même façon que la notion de République avec l’égalité des citoyens nous convient parfaitement ! L’inverse est un fantasme alimenté par l’extrême-droite, nous voulons simplement être en paix et que l’on nous considère comme des citoyens à part entière. Je souhaite que l’on applique à l’islam, comme pour les autres religions, le principe de laïcité.
L’UDMF se positionne aisément au centre gauche de l’échiquier politique, notamment sur les questions économiques. Qu’en est-il de votre vision de la société, en d’autres termes, vous sentez-vous plus proche des « progressistes » ou des « conservateurs » ?
Cela dépend du sujet. Ce qui nous distingue de la gauche touche des questions sur la famille.
Je pense notamment au mariage entre deux personnes du même sexe, à la PMA, au cannabis, à l’euthanasie…
Oui, ce sont ce type de sujets qui nous distinguent du reste de la gauche. Par exemple, on ne partage pas la même opinion sur le mariage pour tous. Nous avons aussi été déçus par la gauche. Si elle avait pris ses responsabilités lorsqu’elle était au pouvoir, notamment sur les questions d’islamophobie, peut-être que l’UDMF n’existerait pas. Je ne me serais sans doute pas engagé en politique. C’est vrai qu’il y a eu une rupture avec la gauche. Je suis déçu car finalement, il n’y avait pas de différences fondamentales entre la présidence Hollande et celle de Monsieur Macron. Sur les questions socio-économiques, nous allons nous rejoindre sur beaucoup de points. Sur les questions de sociétés, nous nous plaçons sur l’échiquier politique traditionnel, plus proche des conservateurs.
L’UDMF est-il un parti écologiste ? Si oui, quelles sont vos propositions en ce sens ?
Oui, nous sommes un parti écologiste. On dit souvent que le modèle économique actuel arrive à son terme. Je pense que nous pouvons nous rapprocher des écologistes car il faut changer ce modèle consumériste. Il a en effet atteint ses limites. Si l’on souhaite une véritable écologie, il faut changer notre façon de consommer, de produire et de circuler !
Parmi nos propositions pour ces élections régionales, nous souhaitons privilégier les circuits courts pour la nourriture des cantines scolaires. Nous considérons que faire venir des produits de l’autre bout de la planète n’est pas tenable.
Pour vous, y’a t-il une identité AuRA ? Si oui, quelle est-elle et a-t-elle été incarnée par la précédente mandature ?
Cette identité est difficile à cause de la fusion des régions. Il y a peut-être plus une identité rhônalpine ou lyonnaise qu’une identité AuRA véritable. Je pense que les citoyens restent attachés aux anciens découpages et que ce n’est pas encore rentré dans l’imaginaire des français.
Quel bilan faites-vous de la présidence de M. Wauquiez ?
Pour nous, il y a un point noir concernant les coupes budgétaires faites dans la formation professionnelle. En quelque sorte, M. Wauquiez s’en vante en disant : « On a aidé le travail et non l’assistanat ». Je le trouve assez méprisant pour les plus fragiles ainsi que pour les chômeurs. Je ne suis pas non plus démagogue, il n’y a pas que des points négatifs.
Il a fait énormément d’économie qui se chiffre à plusieurs centaines de millions d’euros. Finalement, nous n’avons pas vu les bénéfices ailleurs. On constate aujourd’hui, avec la crise sanitaire, que c’était un mauvais choix politique.
Nous avons du mal à nous reconnaître dans cette politique de droite. Ce qui me dérange est aussi la posture du personnage. Monsieur Wauquiez est pour moi une personne qui incarne une droite « radicale ».
Alexandre Tellier