Si beaux les jours…

Si beaux les jours…Au programme ce soir, observations de saison. Au coeur du moment et au gré du courant, on se laisse glisser (un peu trop) tranquillement à bord du premier métro, mais sans fermer l’oeil. Du soleil, de l’ombre,des hommes, des femmes, de la musique, et des questions mais rien de journalistique… Printanier mais citoyen. Sucré ou acide.

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Il faudrait être de marbre ou de glace pour ne l’avoir noté, mais depuis quelques jours, le printemps signe son retour, et en lettres capitales, s’il vous plait ! La torpeur de l’hiver ne semble être plus qu’un lointain souvenir, s’évanouissant de nos esprits à mesure qu’une sève vivifiante vient l’irriguer.

Les avants bras, les épaules, les nuques, les mollets et les cuisses se délestent des centimètres carrés de superflus pour mieux se dévoiler. D’un élan conjoint, les jeunes pousses gorgées de chlorophylle se conjuguent aux tendres épidermes multicolores, attisés par l’afflux soudain de vitamine D.

Le mercure passe la seconde et gravit les échelons. Collant aux fesses des trainées éphémères d’ Air machin-chose ou d’Easy je-ne-sais-quoi, seules écumes visibles dans un éclatant ciel d’azur. Les beaux jours diront certains. Sûrement les mêmes que ceux qui se ruent dans les artères du centre ville comme un torrent bruyant et souriant. Si nombreux que j’en reste bouche bée, songeur et fasciné. A se demander où et comment tant de corps et de visages ont pu se cacher pendant ces derniers mois. Mystère des logements contemporains. Surprenante foule, exaltée par le raccourcissement sensible et quotidien des nuits, synonymes d’une adaptation des comportements et des habitudes. La case maison est repoussée au-delà de 20h, radiateurs et téléviseurs troqués contre lunettes de soleil et virée crépusculaire. Les beaux jours répéteront alors certains, bouches en chœur et poitrines en avant.
Mais bizarrement, quelque chose ne colle pas, ou plutôt ne colle plus à ce décor idyllique. A vue d’œil, difficile de savoir quoi. De plus, le fourmillement nouveau n’aide en rien à éclairer l’obscurité de mon pressentiment. Alors, j’arpente les rues, j’emprunte les transports en communs d’un coin à l’autre de la ville sans arriver à me détacher de cette idée: Il manque quelque chose.

L’absence se fait plus que discrète lorsqu’elle est noyée dans la masse. Même le surplus de lumière ne suffit à percer le voile de fumée. A croire que paradoxalement, le contexte est propice à faire diversion.
C’est en tendant l’oreille que la puce m’est venue. En deux temps, évidemment. Tout le monde connaît les qualités rebondissantes de l’insecte en question, inutile donc d’en faire le dessin. D’abord, un étrange et inhabituel silence souterrain, une absence remarquée. En effet, depuis quelques jours, plus aucune mélodie n’attire mon attention lorsque je suis installé sur ma banquette de métro. Plus aucune interruption de mon imaginaire ou de mes contemplations pour ponctuer mes déplacements et ce, quel que soit le trajet. Puis, sur ces mêmes lignes de métros, ce fût au tour d’une étrange voix de saisir mon attention. Froide, mécanique et impersonnelle au possible, elle souffle inlassablement aux voyageurs en transit des messages trop peu subtils pour être subliminaux. Et pourtant, cela semble en être l’intention. « Merci de ne pas encourager la mendicité » susurre-t-elle d’un ton velouté trahissant une volonté beaucoup moins tendre.

Passé l’effet de surprise, et au-delà de l’étrangeté d’une telle injonction, se dessine la silhouette d’une politique inquiétante, diffusée avec une innocence  que  l’on suppose feinte, en sandwich entre un morceau de James Brown et un standard de jazz. Silencieuse, elle vise à une aseptisation maquillée et discrète d’une situation, et à une stigmatisation implicite d’un phénomène de société récurrent. Collaboratrice et insidieuse, elle s’adresse au voyageur-citoyen, l’implique activement et le convainc à adhérer au bien fondé du message véhiculé.

De ces deux temps, semble naître un rythme commun. Difficile de ne pas songer à un lien de cause à effet entre ces deux constats. Une sorte de courant sous-jacent dont la voix automatique résonnant dans les stations en serait l’unique trace visible, l’aveu discret mais éminemment symbolique d’une épuration sans faste. La soudaine disparition de ces hommes, femmes et enfants, exilés, musiciens, accordéonistes ou chanteurs, nomades en marge, en quête d’un avenir meilleur pousse à une sérieuse remise en question. Tant sur le plan général que personnel. Au-delà de la destinée des migrants, il est question de notre positionnement vis-à-vis de l’action menée par le pouvoir.

Car comme une  vieille rengaine, les mêmes situations reviennent sans cesse et les solutions proposées jusqu’ici semblent loin d’être efficaces. Et pourtant… Paradoxalement, aucune autocritique ne se fait entendre. Les situations changent mais les politiques? Les événements bégaient, mais nous? Que sommes-nous prêts à tolérer ?On ne lutte pas contre les flux naturels, « conjuguer avec » me semble plus intelligent et bien moins démagogique. Soyons pratique: essayez la prochaine fois que vous vous rendrez à la mer. Jetez un bâton à l’eau, les vagues le ramèneront, au même endroit ou ailleurs, mais elles le ramèneront, quelle que soit la force utilisée.
Si le soleil fait brunir les peaux et éveille les sens, il apparaît ici comme un énième test de conscience et de vigilance face auquel mesurer nos visions et nos convictions. Un lieu de balancement entre plaisir individuel et altruisme. Profiter sans que l’on profite de nous, tel serait le dilemme ou l’enjeu, selon le point de vue que l’on se choisit d’adopter.

Jean-Romain Mora

La rédaction

Crée en 2008, la rédaction du Lyon Bondy Blog s'applique à proposer une information locale différente et complémentaire des médias traditionnels.

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