La députée Fiona Lazaar fait partie des treize signataires de la tribune du JDD du 9 mai 2020, plaidant pour l’élargissement du RSA pour les moins de 25 ans. Dans le contexte actuel de crise économique, il faut développer selon elle une politique sur le long terme pour sauver les prochaines victimes du virus : les jeunes en situation de précarité.
Intervention de la députée Fiona Lazaar en milieu associatif de jeunesse à Argenteuil, le 28 mars 2019 ; Crédits : D. Horn
Fiona Lazaar, députée de la cinquième circonscription du Val-d’Oise, vous faites partie des personnalités politiques qui s’inquiètent des retombées du Coronavirus sur l’économie française. Quelles sont les principales conséquences pour la jeunesse selon vous ?
Depuis le début de la crise sanitaire (ndlr, le 17 mars 2020) les taux de recrutements ont baissé. Concernant les intérimaires, souvent jeunes et précaires, leurs embauches ont chuté de 37%. La crise du COVID-19 a posé de nombreuses difficultés pendant le confinement mais la crise économique qui lui succède génère encore plus d’inquiétudes. En réponse, l’État a investi cent milliards d’euros pour soutenir les entreprises. Je crains que les plus fragiles ne s’en sortent pas, ce qui les obligeraient à supprimer un certain nombre d’emplois. Le lien entre la crise sanitaire et le chômage est réel : en avril, les déclarations d’embauches recensées par l’ACOSS ont plongé de 65%. Il faut s’organiser pour éviter la casse !
D’après l’INSEE, les jeunes de 14 à 25 ans du Val-d’Oise représentent 39,5% d’actifs pour 55,1% de scolarisés de 18 à 24 ans… A Vaulx-en-Velin, les jeunes connaissent la même situation avec 39,9% d’actifs. Le « Plan 1000 jeunes », qui est une aide financière à l’embauche pour les entreprises, a fait baisser le chômage de votre circonscription de 9,20% en 2018 à 8,60% en 2019. Pensez-vous que ces investissements vont réduire les inégalités socio-économiques des zones prioritaires sur le long terme ?
C’est un investissement sur le long terme ! Quand on donne une place en entreprise à un jeune, il fait ses preuves et il devient autonome. Le gouvernement a mis en place les emplois francs en avril 2018 (ndlr, offres d’emplois bénéficiant d’une aide financière dans les quartiers prioritaires). Il faut continuer de développer ce système d’embauche pour pousser les entreprises à investir dans ces quartiers.
Les inégalités scolaires sont un facteur d’inégalité d’emploi. Savez-vous si l’offre d’Emmanuel Macron concernant les classes de 12 élèves dans les ZEP est encore d’actualité ?
Plus que jamais ! Les CP-CE1 sont des classes fondamentales : on apprend à lire, à écrire et à compter. Les inégalités se créent pendant ces années-là : certains parents ne peuvent pas accompagner leurs enfants à la maison ou ne parlent pas français. Ce projet fut mis en place dès le début du mandat et s’est petit à petit déployé. C’est plus qu’une promesse, c’est une réalité d’investissement social ! Pour moi il s’agit de la mesure la plus sociale d’Emmanuel Macron !
Comment dynamiser les quartiers périphériques des grandes villes sans exclure les populations les plus pauvres ?
La mixité sociale est centrale pour développer les quartiers. Il faut la faire dans les deux sens car la pauvreté entraine de la pauvreté. On doit aussi instaurer de la mixité dans les quartiers riches : ouvrir davantage de logements sociaux là-bas ! Je ne comprends pas qu’aujourd’hui les camps de migrants démantelés à Paris soient remplacés par des abris dans des milieux populaires. Je suis convaincue que la mixité sociale est une grande richesse !
Les emplois les plus demandés en Val-d’Oise sont l’assistance auprès d’enfants, la préparation de commandes ou le nettoyage de locaux. Ce sont des emplois souvent précaires… Comment les secteurs secondaires et tertiaires vont-ils évoluer dans le futur ?
Ces métiers ont profondément changé pendant la crise du COVID-19 avec le développement du télétravail et des nouvelles technologies. Il faut redévelopper les qualifications et les compétences des jeunes pour l’emploi. Notre gouvernement a investi quinze milliards d’euros pour former les travailleurs aux métiers de demain (ndlr, selon un rapport de Dell et «l’Institut pour le Futur», 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore). On a l’objectif de former 1 million de chômeurs et 1 million de jeunes pour les aider à trouver quelque chose qui correspond à leurs attentes et à leurs compétences. Avant, ceux qui en bénéficiaient le plus étaient des cadres ou des cadres supérieurs dans les multinationales, ce n’étaient pas ceux qui en avaient le plus besoin !
Comment comptez-vous touchez ces jeunes et créer un dialogue qui ira dans les deux sens ?
C’est un véritable challenge ! Les associations jouent un rôle essentiel. J’essaie d’être présente sur le terrain avec Jeunactio qui accueille des jeunes de moins de 25 ans, souvent en décrochage scolaire. Il y a plusieurs méthodes de communication : on participe à des ateliers où j’explique ma fonction de députée, on organise des dîners dans le cadre du Grand Débat entre les policiers et la jeunesse ! J’ai donc poursuivi ce travail dans l’autre sens en organisant une conférence à l’Assemblée Nationale sur la place des jeunes dans la République. J’avais plusieurs invités, dont Latifa Ibn Ziaten et un jeune décrocheur qui, grâce à Jeunactio et à l’Ecole de la 2e Chance, a réussi à se relever et à s’inscrire dans un parcours professionnel. A son tour, il s’engage dans l’association pour aider les autres jeunes : un témoignage très intéressant. Des jeunes de Seine-Saint-Denis ont également pris la parole dans une tribune du Monde où ils évoquaient la question de l’éducation en zone prioritaire. Ce fut un moment important mais j’ai conscience que ces rencontres ne sont pas suffisantes. Il y a toujours de la part des jeunes une défiance envers les institutions et les politiques. Il faut recréer de la confiance.
Pensez-vous que cette défiance est réciproque ? Les institutions éprouvent-elles de la défiance envers ces jeunes ?
Je ne pense pas. Les politiques publiques mises en œuvre pendant quarante ans pour essayer de favoriser l’emploi des jeunes n’ont pas forcément échoué mais ont déçu. On peut comprendre cette perplexité face aux nouvelles propositions. Il faut miser sur eux et leur faire confiance pour leur donner les moyens de s’épanouir. Je reste convaincue que la jeunesse est une force : c’est la France de demain !