Le documentaire ‘’Laïcité inch’allah’’, réalisé par Nadia El fani est diffusé dans quelques salles françaises depuis un mois. Le film aborde la question de la laïcité, des mœurs d’un pays en pleine ébullition. Laura a pu le visionner durant une séance du festival ‘’Le Maghreb des films’’ au cinéma Comoedia, à Lyon.
Tourné dans l’urgence d’exprimer une volonté forte, celle d’avoir le choix et la liberté d’exprimer sa non-croyance en l’Islam dans un pays arabe, le film donne dès la première scène sa note authentique : on découvre la réalisatrice, impliquée dans la révolution, cherchant à rejoindre les manifestants de janvier 2011.
Or ces premières images d’un peuple prenant son destin en main, les visages de femmes et d’hommes criant leur droit à la liberté sont inévitablement touchantes. Le spectateur, prit par l’émotion de la révolution, est plongé dans l’ambiance du film et des villes tunisiennes.
Le film a été tourné sept mois avant la révolution, puis au cœur de celle-ci. La réalisatrice cherche à questionner les tunisiens sur leur rapport à la religion, et ce durant une période charnière : celle du ramadan. C’est donc par des ellipses savamment montées que l’on passe de la révolution au ramadan, d’un débat exalté à une conversation intime avec des amis.
Malgré son expérience dans le genre documentaire la réalisatrice aborde son sujet de manière passionnelle, et interroge les tunisiens en diagonale. Les partisans pour la laïcité font partie de la sphère des intellectuels, d’une classe sociale aisée, quand les réfractaires font partie du petit peuple. Les points de vue, les contradictions, l’hypocrisie sont très intéressants à observer, mais Nadia El fani semble se battre contre des mœurs plus que pour une idée. On regrette le manque de diplomatie de la part de la réalisatrice pour déchiffrer ce qu’est le principe de laïcité dans un pays comme la Tunisie, le peuple assimilant l’idée à l’athéisme et s’insurgeant contre un modèle de démocratie à la française. C’est là que tout le film prend son sens : comment instituer, durant une telle période que celle qu’est en train de vivre le pays, un sentiment de séparation des mœurs publiques et des mœurs privées, sans agiter le drapeau bien-pensant des démocraties occidentales ? Comment donner à un pays sortant d’une révolution l’élan de la construction de sa propre démocratie ? Autant de questions auxquelles Nadia El fani répond par le militantisme et parfois la provocation quand il faudrait commencer par mettre les individus à égalité, et discuter le sens même d’une démocratie ‘’à la tunisienne’’. Le film passe à côté de son sujet, bien qu’il soit d’une beauté remarquable, il pointe maladroitement les rapports du peuple avec sa religion.
Le film a été diffusé premièrement en Tunisie sous le titre ‘’ Ni Allah ni maître’’, des groupes fondamentalistes ont cherché à empêcher sa diffusion, si bien qu’il n’a été que très peu diffusé. A ce titre Nadia El Fani a reconnu : « Quand le film est passé à Tunis, j’ai regretté d’avoir laissé la scène où l’on me voit déjeuner et boire de la bière en plein ramadan. Ça va loin… Pour un jeûneur, la rupture du jeûne est sacrilège. Pour tous les autres, elle est taboue. A l’intérieur du café, le type qui m’interpelle ne s’y trompe pas en me demandant si je filme “la désobéissance”.
Aussi, et malgré les choix artistiques qu’a fait la réalisatrice, il est important de mentionner qu’elle ne peut plus aujourd’hui retourner en Tunisie. En effet deux membres du parti ‘’Enhada’’ ont déposé plainte contre elle pour apostasie, plainte acceptée par le juge. Ou comment, malheureusement après une telle révolution aussi, la liberté d’expression peut être mise à mal.
Laura Tangre