C’est sans ambages que Didier Lestrade, journaliste et figure éminente du militantisme homosexuel, y répond par l’affirmative dans son ouvrage «Pourquoi les gays sont passés à droite». A la veille des élections présidentielles, il redoute qu’une partie du vote gay, celui qui a sacrifié toutes aspirations militantes sur l’autel d’une profonde haine de l’Islam puisse être captée par les partis de droite voire d’extrême-droite, qui n’hésitent plus à draguer cet électorat.
La scène a marqué les esprits mais aussi un tournant dans la rhétorique du FN. C’était le 10 décembre 2010 lors d’un discours de Marine Le Pen à Lyon : «J‘entends de plus en plus de témoignages sur le fait que dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même français ou blanc.». Le parti frontiste ose de plus en plus interpeller des minorités desquelles Jean-Marie Le Pen prenaient jadis peu de considération dans ses discours et programmes, ce dernier voulant même envoyer les malades du Sida dans des « sidatoriums » comme le rappelle le livre.
Cette «rupture» symbolisée par une politique de main tendue vers la communauté LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transsexuels) s’est, selon l’auteur, construite sur le dos d’une autre minorité : les musulmans «Marine Le Pen drague les gays, elle leur fait de l’œil pour les attirer sur le terrain de la critique de l’islam parce que le Front national sent très bien que certains homos peuvent se sentir menacés par cette religion dont les médias ne cessent de soupçonner «l’incompatibilité» avec les valeurs de la République». Le choc des civilisations promis par Huntington trouverait dans l’antagonisme entre Islam et homosexualité un écho tout particulier que le Front National compte bien exploiter, à la manière des autres néo-partis nationalistes d’Europe.
Pour Didier Lestrade, la force du FN est en effet celui d’avoir su calqué son discours sur celui d’autres grands partis d’extrême-droite européens et notamment celui de Pim Fortuyn, homme politique hollandais qui se déclarait ouvertement gay et qui a en quelque sorte crée ce néo-populisme « qui réussit le tour de force d’être tout à la fois xénophobe et pro-gay ». Son argumentaire et son racisme anti-musulmans affiché convint rapidement dans un pays qui remet pleinement en question son identité multiculturelle. Il remporte ainsi avec son parti les élections municipales de Rotterdam en 2002. Assassiné trois ans plus tard, il laisse derrière lui un sillon dans lequel son successeur (Geert Wilders) et nombres de chefs politique d’extrême-droite européens, dont Marine Le Pen, se sont engouffrés «Avant, le Front national, c’était la France profonde. Aujourd’hui, c’est l’Europe. Son populisme fait écho à celui de Pim Fortuyn et s’appuie sur l’idée qu’on peut défendre de manière décomplexée l’Occident et ses valeurs libérales contre la barbarie venue du Sud. Et qui mieux que les gays représentent les valeurs de l’Occident libéral puisqu’ils ont été historiquement les premières victimes de l’intolérance et de la religion ?».
Et dans cette soi-disant lutte face à l’Islam en France, il existerait selon l’auteur, une voix au sein de la communauté LGBT qui aurait plus de poids qu’une autre : celle de Caroline Fourest «sans laquelle rien de tout cela ne serait arrivé». Comprenez la diabolisation de l’Islam dans les milieux homosexuels. Elle voit ainsi tout un chapitre lui être consacré. Journaliste, essayiste, aujourd’hui chroniqueuse au Monde et à France Culture, Caroline Fourest est une militante féministe connue et reconnue pour avoir publié de nombreux ouvrages sur les différentes religions et leurs rapports aux femmes. Ses critiques les plus acerbes se concentrant néanmoins généralement le plus souvent sur l’Islam et plus particulièrement vers Tariq Ramadan.Didier Lestrade dresse un portrait à charge peu flatteur d’une personnalité publique qu’il a vu grandir, et qui trouvait fut un temps grâce à ses yeux quand elle présidait fin des années 90 le Centre gay et lesbien de Paris ou écrivait encore des livres anti-FN. Mais entre-temps elle serait devenue «une passionaria de la laïcité» qui n’hésite plus à s’en prendre à une minorité plus faible que la sienne – « Quelque chose d’inacceptable.» – et qui surfe sur une vague politiquement correct qui lui permet aujourd’hui «d’être au sommet de la pyramide sexuelle auquel elle appartient».
Une violente charge qui ferait presque oublier que Caroline Fourest combat depuis presque toujours les thèses du Front National dans différents de ses ouvrages et sur les plateaux télé. Un discours qu’occulte quelque peu Didier Lestrade devant l’importance pris par la vindicte anti-Islam engagée par cette dernière, notamment dans la communauté LGBT. La journaliste et essayiste est en quelque sorte devenue l’idiote utile des partis conservateurs en leur donnant du grain à moudre.
Vous voulez vivre dans notre pays? Vous voulez participer à notre discussion sur la civilisation? Vous devez d’abord déclarer que «gay is beautiful», devant un jury si possible. Et l’État se sert d’une minorité LGBT qu’il méprise par ailleurs comme d’un rempart pour se protéger des Arabes et des Noirs. On utilise la défense de la minorité gay comme repoussoir à la frontière. C’est ça l’homonationalisme LGBT.
Pour le Front National, cet afflux (relatif) d’homosexuels vers le parti est du pain béni et permet en quelque sorte d’opérer «un lifting» nécessaire et souhaité par Marine Le Pen. Une question qui a d’ailleurs été au centre des débats lors de la succession de Jean-Marie Le Pen à la présidence du parti qui opposait la fille de ce dernier à Bruno Gollnisch. On reprochait à la conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais «la prétendue influence d’homosexuels dans son entourage politique». Cette «ouverture» rentre dans un plan de dé-diabolisation plus générale qui vise à donner plus de respectabilité au parti «Les gays qui rejoignent ce parti ne viennent pas seulement avec leur image, leur savoir-faire en communication, leurs réseaux, ils apportent ce que tout parti réactionnaire rêve d’obtenir : un gage de modernité et d’ouverture».
Une situation paradoxale quand on sait qu’en matière de moeurs, la ligne du parti n’a pas bougé d’un iota «Elle est contre le mariage gay, comme Christine Boutin, et joue sur les divisions internes du mouvement gay sur le sujet en assurant que « la plupart » des gays ne veulent de toute manière pas se marier». Habile, le discours de Marine le Pen sait s’adapter à une communauté «qui sentant qu’elle n’obtiendra rien, relâche la pression sur le mariage gay pour se focaliser sur l’homophobie» incarnée par les musulmans. L’immobilisme des partis traditionnels sur la question du mariage gay et de l’homoparentalité serait aussi venu à bout de la patience d’une partie de la communauté LGBT qui ne voit plus d’obstacles à voter FN pour punir cette classe dirigeante. L’UMP y est toujours défavorable quand le Parti Socialiste vient à peine d’inscrire ces deux revendications dans son programme.
Didier Lestrade, Pourquoi les gays sont passés à droite, Le Seuil, 142p., 14.50 euros.
Journaliste : Zaïd Berkach