Dans la première circonscription du Rhône, Djida Tazdaït, figure de proue du mouvement des beurs (voir notre interview, plus bas) dans les années 80, fera face à Anne Lorne, catholique conservatrice proche de la Manif pour tous. La première est déterminée à livrer bataille jusqu’au bout pour défendre sa vision inclusive et progressiste de la société. Mais le succès de François Fillon à la primaire de la droite joue en sa défaveur.
La vague Fillon chamboule l’équation
Avec une victoire d’Alain Juppé à la primaire, que les sondages anticipaient, la candidate UDI avait le vent dans le dos. Mais la victoire qui se dessine pour François Fillon change la donne.
La semaine dernière, l’Union des démocrates indépendants (UDI – centre) se jetait dans la bataille pour la députation pleine de confiance, dans la première circonscription du Rhône, à Lyon. Aujourd’hui, elle n’est plus sûre de rien. Sa championne semblait toute trouvée : Djida Tazdaït, figure lyonnaise de la lutte contre le racisme et pour l’égalité, qui milite pour la cohésion sociale et nationale. Elle avait lancé sa campagne pour l’élection législative de 2017 mercredi 16 novembre en présence des cadres locaux du parti. Face à elle, Anne Lorne, déléguée nationale du mouvement Sens commun, un lobby de droite ultra-conservateur issu de la Manif pour tous. Mais l’UDI misait sur la victoire annoncée d’Alain Juppé et de sa ligne plus centriste à la primaire de la droite et du centre. La déferlante de votes qui a porté François Fillon au rang de favori lors du premier tour, dimanche 20 novembre, bouleverse tous les plans.
Voir le sous article Première circonscription du Rhône, en pied de page.
Lors des élections législatives, le jeu des alliances entre les partis politiques donne lieu à des négociations sur les candidatures présentées dans chaque circonscription. Les formations politiques se mettent d’accord pour toutes se ranger derrière un candidat dans certaines circonscriptions. L’UDI soutient ouvertement Alain Juppé et la ligne qu’il défend au sein du parti Les Républicains (LR) : en faveur d’une Europe plus forte, ce dernier milite pour l’égalité homme / femme, parle d’une « identité heureuse » et promet une présidence ouverte et plurielle. S’il gagnait la primaire, les centristes sont quasiment sûrs que leur candidate serait soutenue par LR dans la première circonscription du Rhône . Peut-être même de voir son adversaire écartée.
Deux profils, deux visions
Djida Tazdaït avait le profil. Née en Algérie il y a 59 ans, elle est arrivée en France à six ans, dans une cité de transit. Loin de la politique, ses premiers engagements naissent dans les mouvements pour les droits des étrangers qui ont traversé les années 70 et 80. Elle en est l’une des figures de proue à Lyon (voir notre portrait). Elle est également la première députée française d’origine maghrébine à siéger au parlement européen, où elle promeut la cause des immigrés, de la jeunesse populaire et la justice sociale. Européenne convaincue, elle répète à qui veut l’entendre : « Il n’y a pas un Français, une couleur, une religion qui doivent être exclu de la République. Sinon, comment peut-on parler de cohésion, de ciment républicain, de nation qui porte les valeurs universelles ? »
Sa concurrente à droite, Anne Lorne, affiche un CV d’un autre type. Chef d’entreprise de 37 ans, elle a grandi dans une famille catholique du quartier de Saint-Just. Très active sur Twitter, elle y estime notamment qu’ « il faut se battre pour faire reconnaître le mariage religieux comme le seul mariage valide, sans passage à la mairie », ou retweete avec enthousiasme : « Le candidat de la France enracinée contre celui du multiculturalisme. Il faut soutenir @FrancoisFillon », Charles Beigbeder. Conseillère régionale, elle est également déléguée nationale de Sens commun, un mouvement très conservateur né dans les rassemblements anti-mariage gay de la Manif pour tous et qui tente de peser sur les orientations politiques de LR. Anne Lorne est l’un des sept membres que le mouvement a réussi à imposer comme candidats pour les élections législatives de 2017. Sa candidature a été portée dans la circonscription par Laurent Wauquiez, président par intérim de LR, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, et partisan d’une ligne dure dans le parti.
Une arithmétique implacable
Le message de Djida Tazdaït trouve un écho favorable chez les partisans d’Alain Juppé. Mais celui porté par Anne Lorne pourrait en trouver beaucoup plus chez les partisans de la ligne Fillon. Surtout que ce dernier a reçu le soutien de Sens commun, avec qui il affirme une certaine proximité idéologique.
Et si l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy l’emporte dimanche 27 novembre ? Avec un score de 44 % au premier tour, contre 35 pour Alain Juppé, il est crédité de 65 % des intentions de vote dans le sondage IFOP-Fiducial paru mercredi 24 novembre. « Ça confirmera certainement mon adversaire ». Djida Tazdaït affiche ses divergences avec la ligne Fillon : « L’égalité homme / femme, la défense du droit des homosexuels et l’Europe, ce sont des questions fondamentalement rédhibitoires pour moi. » Mais selon elle, au niveau national, l’UDI discutera avec LR, quel que soit le résultat. Et de prévenir : « Il va de soi que je ne discuterai ni ne négocierai quoi que ce soit avec Anne Lorne, ni au premier, ni au dernier tour. Question de principes et de valeurs. »
Djida Tazdaït : « Rappeler aux jeunes que l’engagement politique est un combat »
La candidate UDI dévoile sa vision de la politique et les projet qu’elle compte pousser ou soutenir à l’Assmblée nationale si elle est élue député.
Elle a été de toutes les batailles… Toutes ? Non. Bien sûr, elle a raté la « Marche des beurs », délibérément, par conviction (voir notre portrait). C’est pourtant elle qui à porter le combat français pour l’égalité et contre la discrimination devant l’Europe, en devenant la première députée européenne française d’origine maghrébine, en 1989. Née en Algérie il y a près de soixante ans, Djida Tazdaït a atterri à 6 ans dans une cité de transit, près de Lyon, et fait partie des pionnières du « mouvement des beurs ». Mercredi 16 novembre, elle a lancé sa campagne pour l’élection législative dans la première circonscription du Rhône. Elle roule pour l’Union démocrate indépendante (UDI) et compte promouvoir la cohésion sociale de tous les Français à l’Assemblée nationale, alors que le débat sur l’identité fait rage à quelques mois de la présidentielle. Entretien.
Que pensez-vous que votre candidature puisse apporter à la jeunesse populaire sur votre circonscription ?
Je crois que nous sommes d’une génération assez clairvoyante. A l’époque, nous n’avions aucun complexe à nous afficher Français. Nous n’avions jamais douté du fait que nous faisions partie intégrante de la République. C’est en cheminement que nous nous sommes aperçu qu’il y avait des blocages. A l’époque, il y avait beaucoup plus de violence raciste. Que ce soit la police ou des militants identitaires.
Il faut rappeler aux jeunes des quartiers populaires que ces combats là leur appartiennent. Leurs parents se sont battus. Cela fait partie de l’histoire de France, et c’est leur histoire.
Quel message aimeriez-vous faire passer à cette jeunesse ?
L’avenir est entre vos mains. C’est à vous de changer la donne. Que vous n’ayez pas assez de choix à l’école, c’est vrai. Que ce soit difficile pour trouver un boulot, c’est vrai. Mais c’est une bataille. Un élu comme moi, qui vient de sa petite cité de transite, issu d’une famille moderne, qui arrive en politique du fait des rapports de forces et de la visibilité qu’il a acquis au cours des luttes, il doit montrer que l’engagement politique est un combat.
Vous pointez un des politiques de la ville. Pourquoi ? Et comment les rendre plus efficaces ?
Que les politiques fassent preuve d’empathie. Qu’ils disent qu’ils s’engagent pour les autres, et pas seulement qu’ils le disent, qu’ils le fassent. On parle souvent de l’argent qui est investi dans les banlieues, mais cela n’impacte pas les populations cibles. Donc il y a bien un problème. Ce n’est pas que l’argent, c’est aussi la gestion de la politique de la ville qu’il faudrait remettre à plat. Il faut de la transparence : que l’on sache où va l’argent de la politique de la ville, qui en profite, qui est responsable.
Vous parlez de réformer le système éducatif. Pourquoi ?
L’éducation représente le premier budget de la France. Pourtant, les résultats ne suivent pas. C’est que ce n’est pas un problème de moyen, c’est un problème de méthode. Aujourd’hui, l’école produit de l’exclusion au lieu d’inclure. Il faudrait mettre tout le monde autour de la table pour élaborer une vraie réforme de fond et éviter le blocage. Le blocage est un problème français. Pour l’éviter, il faut consulter tout le monde. Pour le reste, il faut une réforme de fond sur les méthodes d’enseignement. Sur l’encadrement. Je crois qu’il faut que leur formation les baigne vraiment dans les nouvelles technologies, dans les nouvelles manières d’éduquer, de recadrer l’instruction au milieu de tout ce qui est éducatif ou du prolongement extérieur de l’école.
Pour vous, l’engagement associatif est une façon de s’approprier sa citoyenneté et d’aller vers les institutions. Comment le favoriser ?
Je pense qu’il faut renforcer le statut de bénévole, au même titre que le statut des élus. C’est incroyable, sans les milliers de bénévoles, ce que serait la ville. Elle ne serait ni épanouie, ni cohérente. Il faut aider cet engagement. Il faut créer un statut de bénévole fort avec des compensations retraites, des compensations familiales. Aujourd’hui, les bénévole paient de leur poche, par exemple, quand ils prennent la voiture pour aller accompagner des gamins quelque part.
Quels sont les valeurs que vous portez ?
Je me bats pour la cohésion sociale, la cohésion nationale et l’équité. Aujourd’hui, ces idées sont partout en recul, du fait du contexte international et de la crispation sur l’identité de la nation. Il n’y a pas un Français, une couleur, une religion qui doivent être exclu de la République. Sinon, comment peut-on parler de cohésion, de ciment républicain, de nation qui porte les valeurs universelles ?
L’identité est un thème phare dans le débat politique actuel. Quel est votre point de vue sur la question ?
Je crois que chaque Français a une idée de l’identité à laquelle il adhère. Du Breton, aux Basques en passant par les Kabyles, les Arabes, les Africains, les Juifs, les africains d’origines mais aussi l’outre-mer, française depuis des siècles. C’est la couleur de la France. Il ne faut pas instiller de crispation dans ce débat-là. Un débat apaisé sur qui nous sommes, nous les Français et où nous allons, pourquoi pas ? Dans une famille, il y a des discussions de ce type. Pourquoi ne pas les avoir à l’échelle de la France. Mais que cela ne donne pas lieu à la cristallisation d’un débat identitaire focalisé sur une minorité. Je regrette que derrière certains débats sur l’identité se cache un certain racisme politique.
Pourquoi dites-vous que vous vous battrez avec plus force encore au regard de votre adversaire ?
J’ai lu son pédigrée, ce n’est pas rassurant. Elle fait partie de Sens commun (Lobby de droite ultra-conservateur NDLR) et a des positions qui se rapprochent de celles de Robert Ménard (maire de Bézier, élu avec le soutien du Front national et qui mène une politique controversée NDLR) et de l’extrême droite. Et sur la question du combat des valeurs, nous sommes partis pour le mener quoi qu’il arrive.
La première circonscription du Rhône
La première circonscription du Rhône s’étale sur les 9e, 5e, 2e, 7e et 8e, arrondissements. Elle rassemble des quartiers aussi différents que Saint-Just, le Vieux Lyon et Les États-Unis. « Certains quartiers sont fortement ghettoïsés, alors que d’autres zones sont plus aisées », résume Djida Tazdaït, candidate de l’Union des démocrates indépendants (UDI) pour l’élection législative sur cette circonscription.