Prison : Corbas, les murs de la mort

IMG_0475On la dit sécurisée et novatrice. Pourtant, la maison d’arrêt de Corbas, 690 places, dénombre vingt six morts derrière ses murs depuis son ouverture en 2009. Ce qui en fait le plus grand taux de mortalité en France. Témoignages de proches des victimes.  

Farid Lachkab, mort le 25 Septembre 2012 : « une faille dans le système »     

Le 17 mai dernier, au sortir des locaux de Radio Canut, Linda Lachkab (35 ans) auxiliaire de vie résidant à Feyzin émettait un souffle de soulagement. Celui du devoir accompli.

C’était sa première rencontre avec les médias pour parler de Farid son grand frère retrouvé égorgé dans sa cellule à l’âge de 38 ans dans la matinée du 25 septembre 2012.

Ce dernier était incarcéré depuis le 15 juin 2011 à la maison d’arrêt de Corbas  pour une tentative de vol dans une banque lyonnaise. Il lui restait alors deux mois et demi avant la fin de sa peine. L’enquête s’est achevée en mars dernier et a été transférée au bureau du procureur du Tribunal de grande instance (TGI) de Lyon.

Au cours de l’enquête, aucun objet tranchant ou autre indice laissant entrevoir la thèse du suicide n’ont été trouvés dans la cellule du détenu.

« Quelques jours avant, il n’y avait aucun signe de dépression chez lui explique-t-elle. La veille de sa mort, il avait appelé son psychiatre pour lui dire qu’il avait entrepris une formation et lui faire part de son envie de prendre son indépendance. »

Le détenu, déjà atteint de schizophrénie et de dépendance à l’héroïne, était traité à la Méthadone ou au Subutex avant son arrivée à Corbas. Il avait effectué des séjours à l’USIP (unité de soins intensifs en psychiatrie) de l’hôpital Vinatier de février à juin 2011 et « n’aurait jamais dû se retrouver dans une maison d’arrêt aussi moderne fut elle car ce n’était pas une solution adaptée pour lui. »  

Négligences de l’administration pénitentiaire

Mesurant vite les risques de cette incarcération, c’est le docteur Mage, psychiatre à l’hôpital Vinatier qui a tiré la sonette d’alarme dès le premier mois de sa détention. En vain.

En août 2011, faisant déjà l’objet de menaces de ses codétenus, Farid était retrouvé dans la cour gravement agressé. Après quelques jours de coma, il déposait une plainte et le coupable écopait d’un allongement de peine de six mois et de 2500 euros de dommages et intérêts.

A l’annonce de sa mort, la prise en charge de la famille par la cellule de crise constituée de la direction, du chef des gardiens et du  psychiatre apparaît pour ses proches comme le coup de trop :

« Nous avons demandé à le voir. Ils nous ont dit qu’il était à Jules Courmont. On ne l’y a pas trouvé. Il n’était pas à l’hôpital Grange Blanche non plus. On ne la retrouvé qu’une fois autopsié aux pompes funèbres de l’Avenue Berthelot, le lendemain.»

Elle dénonce deux éléments : l’ingérence du système judiciaire qui n’a pas distingué la complexité du cas de son frère au niveau médical et les failles d’une administration pénitentiaire venant de la formation des gardiens « à qui il faudrait faire des tests psychologiques plus approfondis.» Dit-elle sans ironie.

En attente d’une réponse elle exprime son sentiment d’injustice et d’incompréhension en soupirant : « Pour les détenus, c’est marche et tais toi.»

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Sofiane Mostefaoui, mort le 11 Mars 2013 : « un système interne suspect »

« Il était plein de joie de vivre. Le fait d’être incarcéré n’était pas une source d’angoisse ou de peur pour lui. »

Mohamed Mostefaoui (32ans) en est persuadé. Son frère Sofiane ne s’est pas donné la mort dans sa cellule en mars dernier, et à quinze jours du terme de sa peine. Suicide par pendaison : c’est la cause officielle du décès de ce jeune homme de vingt six ans et père d’une petite fille de dix sept mois au moment des faits. Mais la version du directeur de la maison d’arrêt stipule qu’il «a été retrouvé nu pendu au lavabo de sa cellule » avec un drap indéchirable utilisé en hôpital psychiatrique pour prévenir toute tentative de suicide. Elle ne coïncide pas avec celui de gardiens qui l’ont vu « pendu au lit mais torse nu ».

Ceux-ci notaient le fait qu’il ne portait pas « de trace de collier du pendu et les bras figés dans une position de lutte avec des contusions au visage ».     

Le grand frère mène le combat ardemment avec ses sœurs Fatma (42 ans), Kheira (41 ans), Amina (31 ans), Yasmina (29 ans) et sa cousine Melissa (20 ans) dans un feuilleton prenant criblé de « zones d’ombres où les témoignages divergents ».

Les membres de la famille Mostefaoui, résidents pour la plupart à Irigny, ne comprennent pas les dysfonctionnements internes tels que « l’absence de ronde de surveillance uniquement pour sa cellule, les vidéos n’ayant été récupérées que 48 heures après les faits et la démarche des gardiens ayant déplacé le corps pour le mettre en évidence dans le couloir devant les caméras de vidéos de surveillance.»

Ses proches s’invectivent aussi du fait que le SAMU ou les pompiers n’aient pas été appelés ou « que le procureur ait donné une version différente de la réalité à l’avocat, lui-même désarmé par cette attitude ».

Mais comme pour la plupart des familles, c’est le manque de communication de la part de l’administration pénitentiaire qui est montrée du doigt.

« Le directeur n’a respecté aucune procédure, du comité des ministères aux états membres sur les règles pénitentiaires européennes raconte Mohamed. Il était tenu de nous informer personnellement au moment de la constatation du décès. »

Après avoir affronté le mutisme d’un directeur « ne prétendant pas savoir où se trouvait son corps », la famille n’y parviendra que le lendemain aux environs de 17h après un périple les ayant menés à l’Hôpital Lyon Sud, Grange Blanche et l’Institut médico-légal de Lyon.

L’association Ban Public (A ne pas confondre avec l’article d’Estèle sur les amoureux au ban public) militant depuis près de quinze ans contre les morts suspectes en milieu carcéral a conseillé une contre-expertise mais « aucun autre médecin légiste n’a voulu se mouiller. »

Le 15 juin dernier devant la Maison d’Arrêt de Corbas un rassemblement était organisé en mémoire de celui qui est désormais l’un des symboles de la lutte contre les suicides et les morts suspectes en prison. Caméras de télévision, ballons blancs et portrait d’un jeune homme souriant illustraient toute la détermination d’une famille unie autour d’une quête de la vérité.

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Ban Public, une main tendue aux familles

Fondée à l’hiver 1999, l’association Ban Public œuvre pour la publication d’informations sur la prison et l’accompagnement des familles. Elle est constituée de détenus, de journalistes ou d’artistes.  Composée d’ancien(e)s détenu(e)s, de journalistes, d’universitaires, d’artistes, d’associations… de citoyens, BAN PUBLIC développe son action autour d’un site Internet, prison.eu.org. Composée d’ancien(e)s détenu(e)s, de journalistes, d’universitaires, d’artistes, d’associations… de citoyens, BAN PUBLIC développe son action autour d’un site Internet, prison.eu.org.Composée d’ancien(e)s détenu(e)s, de journalistes, d’universitaires, d’artistes, d’associations… de citoyens, BAN PUBLIC développe son action autour d’un site Internet, prison.eu.org.Le multimédia a permis son développement avec la création sur internet du premier portail consacré au monde carcéral : www.prison.eu.org.

Un site qui compte 4000 articles en consultation libre et gratuite et une lettre d’information hebdomadaire. Il accueille quotidiennement une moyenne de 500 internautes. Sur la page Facebook, on trouve des annonces de conférences, de rassemblements en mémoire des détenus.

La rédaction présente une démarche répondant aux lacunes d’une « institution ayant du mal à s’ouvrir en dehors des axes décidés par ses services de communication. »  

Nadia Soltani est une figure indétournable de Ban Public à Lyon. Avec son accent du sud et sa chaleur naturelle, c’est elle qui épaule la famille Mostefaoui.

Présente sur le front depuis 2002 suite à la mort de son frère en prison, elle a du vécu avec « Saint-Paul Saint-Joseph, son lot de décès, et la lutte des familles réunies au sein de l’AFLIDD*. Et puis avec la construction de la Maison d’Arrêt de Corbas, c’est l’horreur qui recommence.»

La bénévole présente sa mission comme un long chemin de croix. Protéger des rumeurs et des intimidations, former à la communication ou à la gestion des moyens de lutte, tels sont les objectifs qu’elle se donne avec les familles lors de ses morts qu’elle évalue « à 1/5ème d’entre elles dans des conditions suspectes, et 2/5ème comme des suicides évitables. »

Le soutien psychologique reste l’un des facteurs primordiaux.   

« Le but est de respecter et  favoriser leur autonomie d’action soutient-elle, tout en mettant à leur disposition les outils pour mener leur combat. Ils sont partis pour des années de lutte et sont désormais en capacité de le faire seuls (…) Sofiane Mostefaoui ne sera jamais un simple numéro d’écrou qu’on efface et qu’on veut faire oublier de tous. »

*AFLIDD : Association des familles en luttes contre l’insécurité et les décès en détention

Les prisons françaises en chiffres (source : wikipédia)

189 établissements pénitentiaires en France
103 services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP)
101 maisons d’arrêts et 82 établissements pour peine (6 maisons centrales, 25 centres de détention, 11 centres de semi- liberté)
6 établissements pour mineurs créés entre Juin 2007 et Avril 2008
67 977 détenus pour 57 325 places en Juin 2013
Taux d’occupation 118,5%
36 Morts suspectes en France en 2013 d’après l’association Ban Public
10 fois plus de morts qu’en milieu libre.
La France possède le plus grand taux de morts suspectes en Europe.
125 morts en 2009

Maison d’arrêt de Corbas (Wikipédia)

Crée en 2009
Réalisée selon les modalités du partenariat public-privé
690 places
45 000m2 de superficiel
11,5 hectares
263 agents de l’administration pénitentiaire
3 quartiers d’hébergement pour hommes de 180 places chacun
1 quartier d’hébergement de 60 places pour femmes
1 quartier d’accueil de 60 places (nouveaux arrivants)
1 service médico-psychologique régional (SMPR)

La maison d’arrêt reçoit les prévenus (détenus en attente de jugement) ainsi que les condamnés dont le reliquat de peine n’excède pas deux ans lors de leur condamnation définitive.

Mohamed Braiki

Natif de Lyon et enfant des Minguettes, je suis diplômé de Lettres de la Fac de Lyon 2 et l’EFAP Rhône Alpes. J’ai roulé ma bosse dans des rédactions lyonnaises comme la radio Lyon Sport 98.4, Le Progrès, Foot 69.fr, Tribune de Lyon et Lyon Capitale. braikimohamed@yahoo.fr

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