On t’enterrera au bled ma fille !

Rafika apprend que ses parents ont déjà prévu les modalités pour son enterrement, via la mosquée de Villefranche sur Saône.

 cimetiere_tUn jour, en visite chez mes parents, j’ai surpris une conversation entre eux : « Bon alors on met qui ? » Ma mère avait l’air stressé, ce qui n’est pas rare, et mon père tenait un papier entre ses mains sur lequel je pouvais lire mon nom. Je veux savoir, et mon père me dit tranquillement : « c’est pour la mosquée. On doit cotiser chaque année ».

« Mais cotiser pourquoi ? » lui réponds-je et ma mère enchaine « C’est pour être sûr qu’on sera tous enterrés au bled quand on ne sera plus là « . Le choc ! je m’emballe et déballe : «  Comment ça tous ? Je comprends que vous, vous vouliez y être enterrés, vous y êtes nés, mais pourquoi moi ? Je ne suis jamais allée au bled » (sauf exception quand j’avais neuf mois, mais j’avoue que mes souvenirs sont un peu flous !) Mon père me répond, avec nonchalance : «  C’est juste une formalité ». Je ne m’étais jamais posée la question, vu mon âge. Mais toute ma famille sera enterrée là-bas, en Algérie. Ce pays que je ne connais pas.

Et je ne lâche pas prise « Mais enfin, ma vie est en France !!! Et mes enfants, où grandiront-ils ? Je ne veux pas qu’ils aient à prendre l’avion chaque fois qu’ils voudront se recueillir sur ma tombe ! Est-ce que génération après génération on finira là-bas, je suis quand même la troisième génération »  Cette atmosphère morbide me fait paniquer. Je cherche un soutien auprès de ma petite sœur.  Elle trouve ça normal elle aussi. J’ai l’impression que tout le monde marche sur la tête. Ou alors c’est moi qui ne suis pas « normale » ?

J’en ai parlé avec d’autres amis. Certains veulent y être enterrés du fait de leur conviction religieuse, d’autres ne se posent même pas la question.

Pour ma part, je me dis que je ne veux pas être enterrée dans un pays qui m’est étranger. Comme si ma vie ici ne comptait pas. Je ne renie absolument pas mes origines maghrébines, bien au contraire. Mais je pensais qu’on avait dépassé depuis belle lurette le « mythe du retour », apparemment ce n’est pas le cas pour tout le monde.

 

Auteur : Rafika Bendermel

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