« En Albanie on crevait la dalle, je n’avais pas le choix »

Tribunal de Grande Instance de Lyon, comparution immédiate, le 12 mai 2017

Les avocats se succèdent, parlent aux familles des accusés, les rassurent. Pourtant aujourd’hui, tous risquent des condamnations plus ou moins importantes. Allant de l’amende à la prison, ceux qui se sont sentis légèrement trop fort dans les rues de Lyon sont remis à leur place entre les murs de ce Palais de Justice. Il fait légèrement chaud dans cette chambre des comparutions immédiates. Le juge arrive les bras remplis des dossiers du jour accompagné de ces deux accesseurs. Le décor est posé, les acteurs se mettent en place.

On peut lire dans les yeux des deux albanais, aujourd’hui jugés pour détention de cocaïne, le goût amer de la honte. Ils sont à 1 700 kilomètres de chez eux, à regarder un juge qu’ils ne comprennent pas au travers d’une vitre d’un box dans lequel ils sont assis. La traductrice qui les accompagne explique dans leur langue d’origine l’énoncé des faits. Les mots passent et les visages s’assombrissent.

Adan et Bajuk* sont deux albanais dont l’arrivée à Lyon ne dépasse pas les 3 semaines. Le premier, un quinquagénaire chauve avec un en bon point. Le second, un trentenaire imberbe, le regard perdu. Ils ont l’un et l’autre laissé une femme et des enfants en Albanie. La nature de leur venue en France était selon Adan « une  visite à un ami » habitant près de Saint Etienne.

Le début de l’affaire commence il y a plusieurs mois dans le métro Lyonnais. Une heure de faible affluence où Adan se fait repérer par un agent de police en civil. « Il tenait son sac fermement des deux mains par la hanse et entre les cuisses. Comme quelque chose qu’il ne fallait absolument pas perdre. Il était méfiant, se retournait toujours sur lui dans la rue » témoigne-t-il. L’attitude « louche » de cet homme va mener à son interpellation et à l’ouverture de son sac. A l’intérieur, plusieurs kilos de poudre blanche qui s’avèreront être des « produits de coupe ». Ces derniers sont nécessaires à la revente du stupéfiant pour alourdir le poids de la cocaïne et augmenter la marge du revendeur. Il sera relâché.

Plusieurs questions se posent alors, pourquoi être à Lyon, seul, alors que son ami est à St Etienne ? Pourquoi se déplacer avec autant de produits de coupe sur lui ? Cette quantité retrouvée n’est pas signe d’un simple consommateur isolé où d’un dealer qui veut arrondir ses fins de mois. La police tient surement un gros poisson… « L’éventuel réseau de drogue dont fait partie l’individu – poursuit le juge en citant les rapports de police – suffit à le mettre sur écoute téléphonique et à le prendre en filature ».

Les jours passent et les indices arrivent pas à pas. Les écoutes téléphoniques ont révélé la présence de trois numéros de téléphone, avec pour deux d’entre eux, des appels uniquement vers l’Albanie. Adan n’est pas seul, il a un complice en France et des patrons qui tirent les ficelles depuis son pays de naissance. Nul besoin de chercher son compère de France ou de le géolocaliser, un lieu de rendez-vous semble se trouver Avenue Felix Faure. Un appartement qui sera surveillé jours et nuits par des agents aussi discrètement que possible. Un autre homme fait des va-et-vient dans ce même appartement, Bajuk, son acolyte.

Les indices se font rare et à part des allées et venues ainsi que des appels téléphoniques sans grande importance, c’est le néant. Jusqu’à la réception de messages très étranges.

–  » La transaction s’est passée correctement ? T’as pas merdé j’espère ?  » – « Non, ne t’inquiète pas tout s’est bien passé, j’ai tout donné « 

L’enquête patine, les agents sur l’affaire n’auront pas mieux, il est temps d’intervenir aux aurores dans l’appartement. Les deux personnes s’y trouvent et la fouille commence. Plusieurs sacs sont retrouvés dont quatre avec d’importantes quantités de poudre blanche. Les deux premiers font 25 kilos, le troisième 24 kilos et le dernier 26 kilos. En tout ce sont plus de 100 kilos de « coupes » retrouvés dans l’appartement avec divers ustensiles aidant à la préparation de petites poches pour la revente. Un petit sac contenant « 1124 grammes de cocaïne » sera également retrouvé, loin du réseau de drogue espéré, c’est déjà une belle quantité pour les enquêteurs.

Adan et Bajuk sont arrêtés et remis au parquet pour passer en comparution immédiate. L’avocat des deux revendeurs tentera de les défendre en argumentant notamment sur les 1124 grammes de cocaïne. Il n’y en aurait finalement que 800 après expertise de laboratoire. Cette dernière étant déjà coupée par les deux protagonistes.

Le procureur demandera 18 mois de prison ferme pour Adan pour trafic de drogue et 12 mois pour Bajuk pour complicité ainsi qu’une interdiction de territoire. Le choc se lit sur le visage des deux. Souffle coupé, main qui passe sur le haut du crâne, tant de mois pour si peu de drogue…il ne s’y attendait pas. Quand le juge demandera aux deux coupables les raisons d’un tel acte, Bajuk répondra : « En Albanie j’avais ma femme, mes enfants et tous les soirs on s’engueulait parce qu’on crevait la dalle, je n’avais pas le choix » alors qu’Adan se contentera de dire « J’ai honte auprès de mes enfants… »

Le juge décidera de condamner le quinquagénaire pour la totalité des faits reprochés et de suivre la décision du procureur. Le complice écopera lui, d’une peine de 10 mois pour revente. L’accès au territoire français leur est interdit pour une durée de 5 ans dès la fin de la peine. Les scellés (tout l’argent qu’ils détenaient sur eux), soit 1000 francs suisses et 500 euros chacun sont confisqués.

Ils se lèvent, sont raccompagnés par la police. Ils passeront du box du palais de justice à la cellule de prison. L’affaire de cocaïne a pris fin. L’existence des deux coupables sera mis entre parenthèse le temps de quelques mois.

Au suivant.

*Les noms ont été modifiés.

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