Missy Ness : « Je suis devenue DJ par esprit de rébellion »

Porte drapeau de la Tunisie lors du festival RevolusonR, l’artiste apparaît comme une exception. C’est la première femme à poser le pied dans la planète des DJ tunisiens. Samedi dernier, la rebelle qui vit entre Paris et Tunis s’est livrée avec profondeur au LBB, à quelques minutes de son spectacle au 6ème Continent.       

DJ Missy Ness
DJ Missy Ness lors du festival RevolusonR

Quelle est ton histoire avec la Tunisie ?

J’ai grandit à Paris et j’y allais en été comme tout le monde.  Mais je me suis posé des questions sur moi-même. Je trouvais dommage de voir la Tunisie comme un pays touristique. Et puis je me demandais ce que les jeunes  écoutaient là bas. Alors, je suis parti en aller simple à Tunis en 2006 avec mes disques. J’y suis resté un an et demi. Une période faite de découverte et de rencontres, notamment artistiques.

J’ai découvert ce que s’était de vivre la dictature sous Ben Ali. Avant ça, j’avais tendance à la fantasmer. Une fois qu’on y est plongé, on comprend  les risques que l’on encourt lorsqu’on parle de politique dans un café où que l’on fume un joint. Les simples fumeurs de shit risquaient au moins un an, ce qui est encore le cas avec le nouveau gouvernement.

Qu’as-tu retenu de ce voyage initiatique ? 

Il y a une jeunesse dynamique qui s’inspire de ce qui se fait dans le monde sans être dans le rejet  et tout en concevant son style de

DJ Missy Ness
27 ans, née à Paris (XVIIIème)En activité depuis 2003. Formation : technicienne du sonCollaborations notables :  Shinigami,
San (tn)  F.R.D Krew (tn)  La Fabrique du macadam                       Kif -Kif International

musique. On y écoute énormément de musique alternative et du reggae. J’étais dans un collectif qui s’appelait Electro Party où l’on faisait entre autre du Dub ou du Hip-hop. On a commencé à organiser des soirées dans des endroits  de Tunis qui n’étaient  d’habitude pas très accessible au public car trop chers. Ca marchait très bien !

Etre DJ et femme en Tunisie, c’est donc possible ?

Il y n’avait pas de DJ tunisienne quand je suis arrivée. J’ai des parents assez ouverts qui m’emmenaient sur  toutes sortes de manifestations. Mon oncle leur avait  dit un jour : « votre fille va finir par faire une fac de droit ! » parce que je disais toujours : « j’ai le droit ! ».

Avec le recul, personne n’aurait imaginé que j’allais être DJ. Je l’ai fait par défi ou esprit de rébellion mais par amour de la musique, c’est sûr. Il y a aussi l’envie de partager la musique que l’on aime. Je le faisais déjà enfant. Quand j’ai commencé en Tunisie, j’étais la première femme et des gens ont entendu parler de moi. J’avais 19 ans, je suscitais de la curiosité. Des gens voulaient me mettre dans les circuits commerciaux, me « marketter ».  Pour moi, c’était inconcevable !

« La liberté d’expression n’est pas acquise »

Dans quel sillon artistique te retrouves- tu ?     

Ce que j’aime chez les artistes, c’est cette capacité à surprendre, à aller là où on ne les attend pas et même prendre des risques. J’aime voir leur évolution. Ceux qui refusent d’être mis dans une case. J’aime bien Oxmo Puccino, La Rumeur, Rayess Beck un rappeur Libanais qui est sidérant par sa poésie. Il y aussi le jazz.  Mais c’est l’art surréaliste qui m’a beaucoup marqué au lycée. Une expression artistique qui est un mouvement englobant beaucoup de choses comme la politique par exemple.

Que dire de la Tunisie trois ans après la révolution ?

On a tendance à croire que c’est pleins de barbus, de salafistes et que ça devient dur de circuler pour les femmes. Il ne faut

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DJ Missy Ness DJ Sotusura (Palestine)

 

pascroire ce que disent les médias. Je me permets de dire avec recul : « pour les Afghans ce n’est pas forcément Kaboul ».

Tout en le disant avec solidarité pour ces derniers. Il y a des dangers c’est vrai. On l’a vu avec l’affaire du rappeur Weld El 15 et le morceau «Boulicia Kleb » pour lequel il a été condamné à deux ans de prison ferme, un titre que je vais passer pendant le concert. C’était une vraie saga judiciaire avec des cavales et une arrestation sur scène alors qu’il chantait avec un autre rappeur tunisien Klay BBJ (invité à Révoluson R mais non présent, ndrl). Weld El 15 m’avait confié qu’il pensait que les policiers cagoulés venaient arrêter un terroriste mais en fait la surprise lui était réservée.

La liberté d’expression en Tunisie n’est pas un droit acquis. Même en France d’ailleurs. La police reste une institution. Le gouvernement actuel a hérité de la police de Ben Ali qui reste dans la surveillance et la délation. Il y a beaucoup d’artistes qui sont visés et il faut se mobiliser quand l’un d’entre eux est visé.

François Hollande est venu à Tunis le 7 Février dernier pour fêter l’adoption de la nouvelle constitution. Quel effet cette visite a suscité chez toi ?     

J’étais morte de rire ! Avant que la nouvelle constitution soit adoptée, pour François Hollande et ses collègues qui sont venus le sourire aux lèvres,  la Tunisie et son gouvernement, c’était Kaboul. Et là d’un seul coup, la Tunisie c’est cool !

Ils croient que tout est réglé mais il y a encore la misère sociale, la corruption, la reconstruction des hôpitaux. Il faut arrêter de faire la fête !

Mohamed Braiki

Natif de Lyon et enfant des Minguettes, je suis diplômé de Lettres de la Fac de Lyon 2 et l’EFAP Rhône Alpes. J’ai roulé ma bosse dans des rédactions lyonnaises comme la radio Lyon Sport 98.4, Le Progrès, Foot 69.fr, Tribune de Lyon et Lyon Capitale. braikimohamed@yahoo.fr

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