[Liban Trip] Un carrefour de religions

Partie pour une année d’étude au Liban, Marie Grillot a accepté de nous raconter, chaque mois, des tranches de vie locales, parfois avec humour. Voici la troisième partie de son «Libantrip».


<< Episode 2 : Discipline et vitalité française.
Il y a quelques semaines, j’ai interrogé une connaissance syrienne de confession chrétienne étudiant au Liban à propos de la révolte dans son pays : «Il n’y a aucun problème», m’annonça-t-elle, sans rire. Elle m’expliqua qu’il y avait, en effet, quelques manifestations, mais que celles-ci restaient isolées et que ceux qui semaient le trouble n’étaient que des milices qui n’écoutaient pas les ordres du Président.

J’en restais coite. Je découvrais la propagande. Pas celle que les politiques nous infligent tous les jours, relayée au journal de 20h, non, celle qui établit une toute autre interprétation de la réalité et une vraie désinformation. Après ça, j’ai voulu aller en Syrie, pour voir de mes propres yeux. Non pas que je pensais qu’elle avait raison, mais, simplement, je me sentais, tout d’un coup, l’âme d’une grande reporter prête à l’investigation dans un pays en crise, bien déterminée à rétablir la Vérité ! Je suis finalement restée au Liban. Les vacances touchant à leur fin, je crois qu’il vaudrait mieux que je ravale mes ambitions pour cette fois… Alors, continuons de parler du Liban.

Que pensent les Libanais à propos des révoltes syriennes ? «El-Assad doit rester au pouvoir !» OK. Après avoir eu affaire à une “lavée du cerveau”, j’ai le droit au tyran sans foi ni loi. Et moi, je suis là, avec ma belle morale et mes principes de droit que personne ne semble soutenir. En discutant, voilà comment la personne m’a résumé son point de vue : si el-Assad tombe, un gouvernement sunnite le remplacera et son éviction se répercutera au Liban, en premier lieu à travers le Hezbollah, qui perdra son soutien syrien. Cela mettra à mal l’axe Iran-Syrie-Hezbollah. Ajoutons à cela deux autres problématiques : le régime politique confessionnel libanais et les réfugiés syriens (sunnites) au Liban. En clair, la stabilité du pays dépendait du dénouement des événements en Syrie.


Pour comprendre, il faut avoir en tête que, ici, tout est affaire de religion. Déjà, au XVIIIe siècle, la montagne libanaise était connue pour être celles des druzes et des maronites. Avec la chute de l’Empire ottoman et l’arrivée des Français, la création d’un Grand Liban se voit contrariée par les divergences d’opinions inter-confessionnelles (protectorat français pour certains, préférence pour un rattachement à la Syrie pour d’autres). Sans vraiment de consensus, ce Grand Liban s’établit comme un fait accompli et, peu à peu, les revendications confessionnelles se cristallisent à travers la création de partis politiques. Bientôt, toutes les questions d’ordre publique relèveront des différents points de vue religieux.

Alors, comment parler, dans ce contexte, d’unité nationale et de stabilité ? Où est l’unité, quand chacun s’identifie, avant tout, comme appartenant à une confession, et non à une Nation ? Où est l’unité quand les maronites estiment que les révoltes syriennes feraient tomber un gouvernement qui protégeaient les chrétiens syriens au profit d’un gouvernement sunnite qui mettrait à mal leurs intérêts ?

Syriens, Israéliens et Palestiniens
 ont spolié l’intégrité du territoire libanais

Ajoutons à cela que le Liban est soumis à la volonté de ces pays limitrophes : la Syrie, Israël et les Palestiniens : autant d’éléments extérieurs qui ont spolié l’intégrité du territoire libanais. Dans les années 1970, on accorde aux réfugiés palestiniens le droit de s’armer contre Israël. Les représailles ne se font pas attendre et, avec elles, la Guerre Civile qui durera quinze ans. En effet, les chrétiens ne tardent pas à s’opposer aux Palestiniens, les sunnites continuant, eux, de les soutenir ; Israël bombarde le sud, puis Beyrouth ; le Hezbollah apparait face à l’impuissance de l’armée nationale et sera considéré, dans les années 1990, comme une force de résistance contre l’occupation israélienne au sud-Liban. La Syrie aussi intervient, rajoutant un nouvel acteur dans ce casse-tête…

Bref, le Liban est, à la fois, soumis à son patchwork religieux, figé par la mise en place d’un régime consensuel qui impose un juste équilibre confessionnel dans les représentations politiques, et sa situation géographique délicate, entre Syrie et Israël.

Alors, quelle politique vis-à-vis des révoltes ? Pour le gouvernement, il faut tenir le Liban en dehors de cette crise mais, déjà, les sunnites du pays soutiennent les insurgés voisins en alimentant les routes de contrebande par lesquelles ils peuvent faire passer de l’eau, des armes, de la nourriture et des produits de première nécessité. Tripoli, première ville musulmane du Liban, commence à s’enflammer face à l’afflux de réfugiés, mais aussi face aux tensions entre communautés alaouites (proches de el-Assad) et sunnites.

Le Liban est une caisse de résonance et bien peu aisé est l’art de gouverner dans un pays aussi peu soudé, dans une région où la question religieuse est stratégique. La relative stabilité du pays semble désormais soumise aux décisions d’une communauté internationale divisée, bien peu encline à l’action…

L’article sur FreeLandz : http://www.free-landz.fr/une/libantrip-episode-3

photos : Marie Grillot
légendes : -vue depuis le musée Khalil Gibran.
-Bcharré, bastion de la résistance chrétienne pendant la guerre civile.

Marie Grillot

La rédaction

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