« Je ne suis ni Lyonnais ni Algérien. Je suis un immigré »

A Lyon, dans le quartier de la Guillotière, point de rencontre des chibanis, un homme de 68 ans se confie. Sa naissance en Algérie, sa jeunesse et puis tout le reste.

Un dimanche après-midi, Place Djebraïl Bahadourian, dans le quartier de la Guillotière. Les chibanis sont dans les parages. Leurs manteaux trop lourds portent le poids des décennies. Ils ne bougent pas. On dirait des arbres plantés dans le bitume. Des arbres qui fument des cigarettes. Un homme leur ressemble. Il est sorti sans manteau mais il a mis un costume. On l’interpelle : « Monsieur ! – Oui ? répond-il d’une voix rocailleuse. – Bonjour, vous êtes du quartier ? » On lui pose des questions sur sa vie. Il y répond, parfois un peu méfiant, avec l’œil de celui à qui on ne la fait pas. Mais il a envie de parler. Alors il parle.

« Je suis né en 1942 à Diderot, aujourd’hui Oued Lili, dans la wilaya de Tiaret. Je suis d’une famille de deux enfants. » On comprend que son père est mort tôt. « C’est ma mère qui nous a élevés, mon frère et moi. Elle gagnait sa vie comme domestique chez des colons. Ils avaient la terre. C’était une région agricole, avec du blé. J’allais à l’école, on était mélangés, filles et garçons. J’en suis sorti à 14 ans. A la maison, on avait une dizaine de brebis. »

« En 1963, je suis arrivé à Perpignan. Je voulais devenir maçon, mais ça n’a pas été possible, j’ai fait de la manutention. En 1964, je suis monté à Lyon. J’ai travaillé à la gare de la Guillotière, comme privé, pas comme cheminot. Avant de loger dans un foyer Sonacotra pendant 17 ans, j’ai habité, avec d’autres, pendant trois-quatre ans, une chambre au-dessus d’un café, rue Marc-Antoine Petit, près de Perrache. J’avais 22 ans, on jouait au poker, on buvait de la bière ou du pastis. J’ai profité de ma jeunesse. Je me suis marié en 1983. L’année d’après, ma femme est venue me rejoindre dans le cadre du regroupement familial. Nous avons eu quatre filles. Quarante ans de travail, 35 ans dans la même boîte, à Saint-Priest. Je suis parti en retraite en 2003. »

« Si je vote aux élections algériennes ? » Une vieille parano affleure dans ses propos. « Oui, toujours. Une fois, je n’ai pas voté pour le candidat du régime, mais pour le candidat socialiste, Aït Ahmed. Au consulat, ils ont su. Ça a fait des histoires. »

Cet homme ne nous dira pas son nom. Il allume une cigarette, s’en va. « Je ne suis ni Lyonnais ni Algérien. Je suis un immigré. »

*Photo du film « La graine et le mulet »

Antoine Menusier (avec Rafika, Amine, Samia et Pascale)

La rédaction

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