Itinéraire d’un dealer : « Tout est parti d’une cigarette… »

Le LBB a croisé Nasser* un jeune vendeur de cannabis lyonnais désormais retiré du circuit. L’heure est au recul pour ce repenti qui relate son parcours et livre son point de vue sur ce qu’on appelle communément « la bicrave ». Entretien exceptionnel.

DSCF6002La banlieue lyonnaise est-elle une place active de la vente de stupéfiants en France ?  

Evidemment, c’est une plaque tournante pour la simple et bonne raison qu’elle compte une forte population et beaucoup de clients potentiels. On en trouve beaucoup aux Minguettes, à Vaulx-en-Velin ou dans le quartier de la Guillotière par exemple.
Lorsque l’on est un jeune dealer, il faut vite apprendre à connaître ces secteurs. En ce qui me concerne, je suis originaire du plateau des Minguettes donc il m’a été plus facile de préparer mon carnet d’adresse au fil des mois.
Il faut prendre aussi en compte le rapport qualité prix qui est proposé au client : Marocaine ou Hollandaise non coupée. C’est ce qu’on appelle dans le jargon de la « frappe » ou de « la bombe ».

Pourrait-on connaître les mêmes évènements que l’on voit ces derniers mois dans les quartiers Nord de Marseille ?           

Il y a deux ans un jeune d’origine commoréenne issu de mon quartier s’est fait assassiné à Marseille suite à une attaque à la Kalashnikov à cause d’une histoire de shit. A Lyon ça peut nous arriver même si l’intensité de violence n’est pour l’instant pas vraiment la même. Avec la crise, les jeunes cherchent à se faire de l’argent et la violence risque d’augmenter à Lyon. Ce ne sont pas les petits vendeurs des halls, qu’on appelle aussi les bicraveurs, qui vont l’amener mais les grossistes.

Profil socio économique des trafiquants
Rapport de Nacer Lalam et Franck Nadaud, INHES/ONDRP, 2010
Moyenne d’âge : 28 ans
40% de 18-25 ans
6,5 de mineursSexe
90 % d’hommes
10% de femmesNationalité : française
22, 5 % d’étrangers

Situation socio professionnelle :
Actif (85 %)
10% sans profession

Réalisé à partir de l’analyse de 41 000 interpellations d’individus pour le trafic, sur la période 2005-2009.

Que représente vraiment le dealer en banlieue ?

Dans la vie du quartier, le dealer est le nerf de la guerre. Celui qui sert la consommation et rend donc nombre de services. Quand on commence, on se sent plus fort du fait qu’on a plus de moyens que les autres consommateurs.

Qu’est-ce qui t’as poussé dans la voie du trafic ?

J’ai commencé à 15 ans en fin de seconde générale au Lycée Jacques Brel à Vénissieux. Au premier trimestre, je découvrais la cigarette et six mois après je dealais. C’est un processus extrêmement rapide !
Je savais que je ne pouvais pas monter un vrai réseau tout de suite et que cela prendrait du temps. Mais à cet âge-là, on a des ambitions et on pense à l’argent et aux voitures. Et puis mon lycée était connu pour sa concentration de petits vendeurs. Leur nombre y est encore impressionnant.

Avec le recul as-tu l’impression d’avoir été pris dans un piège ?

Oui, dans le sens où l’on devient addictif. Sur cinq fumeurs de cigarettes, quatre vont passer le pas et s’essayer au cannabis, trois vont être dépendants et enfin deux vont dealer car ce sont des choses qu’on ne peut plus gérer avec un coût énorme surtout quand on commence jeune…

Le début de carrière est-il un passage difficile ?

Mes parents ne se sont aperçus de rien au début car je faisais tout pour le cacher. Mais la fumerie ça se perçoit d’abord dans les yeux. Je sortais de plus en plus et je restais de moins en moins chez moi. Le deal, même à petite échelle, c’est  une  course contre la montre. Cela m’a même éloigné de mes  amis non fumeurs et j’ai commencé à être de moins en moins assidu aux entraînements de foot. Je fumais alors trois à quatre joints par jours.

« Le dealer est le nerf de la guerre »

Quand on entre dans le business, qu’est ce qui change dans sa propre personnalité ?  

Avant cela je n’étais ni gestionnaire, ni méthodique. Et paradoxalement on développe des qualités d’auto entrepreneur (rires). Je n’avais jamais eu autant d’argent entre mes mains. Alors on gère son business. Je devais calculer le rendement, les dépenses avec une plaquette et surtout le nombre de barrettes qui allaient me servir à rembourser le grossiste mais aussi pour mes bénéfices et ma propre consommation.

Où trouver la clientèle idéale ?

Les jeunes des beaux quartiers sont des cibles importantes. Je m’en suis rendu compte lorsque j’ai changé de lycée et je suis allé d’un lycée à Oullins. Ces jeunes là issus de classes plus aisés payaient cash. Je pouvais augmenter mon chiffre d’affaire jusqu’à 600 euros par mois. Mais dans des quartiers comme Les Minguettes, la clientèle paie aussi sur le champ. C’est un principe.

La conception de l’argent change tout d’un coup…

Ma première prime s’élevait à 40 euros de bénéfices en plus de ma consommation personnelle, c’était stimulant pour un début. C’est de l’argent facile et on s’y habitue trop rapidement. La drogue et l’argent sont intimement liés car on en devient addictif. Quand on gagne de plus en plus d’argent en tant que jeune dealer, on ne pense pas à dépenser pour des choses plus utiles comme le permis de conduire. Alors j’ai baissé ma consommation pour en vendre un peu plus. Celui qui ne fume pas va bien sûr doubler son chiffre d’affaire.

Quel rôle jouait ton rôle de grossiste dans ta vie de « bicraveur » ?

Je le verrai comme un ange gauche…
Parfois, je récupérais à chrome ce qui voulait dire acheter à crédit ou investir avec de l’argent que l’on n’a pas en empruntant au grossiste. Celui-ci devient une sorte de banquier ou pire un usurier. Il prend une part sur les plaquettes du fait qu’elles ne sont pas payées cash.

Etais-tu violent ou même armé ?

Non.  Je craignais plutôt les grossistes qui géraient des quantités importantes ou qui vendaient 10 Kg par jour et se devaient de défendre un business monumental.
Il m’est arrivé d’insulter des clients pour exprimer mon impatience mais j’infligeais aussi des amendes de 50 euros pour les obliger de payer. Quand on investit, il faut savoir mettre la pression.

« On se découvre des qualités de gestionnaire »

Stupéfiants : Les personnes mises en cause au  cours de l’année 2011
source OCRTIS : office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants
189 772 personnes ont été mises en cause pour des infractions à la législation sur les stupéfiants par les services de police et les unités de gendarmerie, soit une hausse de + 7,21 %.
Ce bilan se détaille comme suit 152 020 personnes mises en cause pour usage (+ 10,32 %)19 226 personnes mises en cause pour usage-revente (- 7,59 %)11 648 personnes mises en cause pour trafic/revente sans usage (- 4,38 %)

6 878 personnes mises en cause pour autres infractions à la législation sur les stupéfiants 10 (+ 10,63 %).

La hantise de la police devait compliquer ton quotidien…

Je n’ai jamais eu de problème car je ne portais que ma consommation sur moi. Un bon conseil : quand vous vous faîtes attraper avec une barrette, expliquez que c’est pour votre consommation personnelle. Les policiers peuvent faire preuve d’indulgence ou c’est seulement une petite garde à vue au pire. Mais c’est rare.
Par contre la possession des plaquettes provoquait la paranoïa. Un an après mes débuts, les  inspecteurs savaient des choses sur moi. Je m’étais déjà fait connaître et il arrivait que les chiens Malinois de la brigade des stups viennent flairer devant ma porte.

Alors comment t’organisais-tu pour passer au travers ?

Je cachais la marchandise dans les buissons de mon quartier. Un inspecteur peut vous laisser passer selon votre apparence mais l’instinct animalier est une arme redoutable. Comme cela ne suffisait pas, je me suis trouvé une nourrice que je payais 200 euros par mois en shit soit 50 grammes environ.

Un évènement a tout basculé dans ta vie de dealer…

Il y a trois ans, j’étais en possession de l’équivalent d’un kilo, c’est-à-dire 3000 euros qu’un grossiste m’avait livré à chrome. Je l’ai caché dans mon quartier sous un buisson. Quatre jours après, je revenais dans la nuit et tout avait disparu !
J’ai hurlé de panique. Je n’étais pas prêt de revoir la marchandise. Il me fallait de l’argent alors j’ai monté un cambriolage avec deux amis dans une maison de Solaize. On a volé une voiture. Je l’ai utilisé deux jours après pour aller au lycée et j’ai fait un accident en blessant un autre conducteur. Je me suis retrouvé avec deux ans de prison avec sursis et 4000 euros d’amende. Cette bêtise m’a coûté mon passage au bac. 

Quelle est ta perception des choses aujourd’hui ?

Le mieux est d’être loin de tout ça. Il faut faire comprendre que c’est un engrenage. Les parents se doivent d’être présents pour leurs enfants. Ceux qui fument ne sont pas crédibles et ce sont ceux qui les influencent le plus.

La consommation de cannabis restera dans notre culture encore très longtemps. J’ai des amis qui y sont et fument jusqu’à 15 joints par jours.
Aujourd’hui, j’en fume trois par jours. Je dois encore 500 euros à un grossiste du quartier des Etats Unis (Lyon 8ème). J’en cache encore dans mon allée mais je dois m’arrêter pour tourner la page.

As-tu des rêves pour les prochaines années ?

Je me suis blessé dans mon estime personnelle. Mon rêve est d’être électricien.  J’essaie désormais de rembourser toutes mes dettes. Je suis une formation pour repasser mon Bac pro. J’aimerai utiliser mes connaissances mes « notions commerciales » plus sainement.

Pour aller plus loin

Site de l’institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ)

http://www.inhesj.fr/fr/ondrp/les-publications/rapports-annuels/8

La criminalité en France -Rapport annuel 2012 (numéro 8) de l’INHESJ.

http://www.inhesj.fr/sites/default/files/rapport_ondrp_2012_3.pdf

Mohamed Braiki

Natif de Lyon et enfant des Minguettes, je suis diplômé de Lettres de la Fac de Lyon 2 et l’EFAP Rhône Alpes. J’ai roulé ma bosse dans des rédactions lyonnaises comme la radio Lyon Sport 98.4, Le Progrès, Foot 69.fr, Tribune de Lyon et Lyon Capitale. braikimohamed@yahoo.fr

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