« Aujourd’hui les Turcs réagissent face à une loi qui les concerne »

Le 23 Janvier 2012, une loi pénalisant la négation du génocide arménien relatif au massacre de ce peuple par les Turc en 1915 causant 1,5 Millions de morts a été présentée aux Chambres législatives. Ce texte a été adopté par le Parlement après un dernier vote du Sénat. La loi doit être promulguée dans les prochains jours. Entre temps 72 sénateurs et 65 députés ont déposé deux recours devant le Conseil Constitutionnel pour peut être empêcher cette promulgation. Mehmet, un étudiant en Science Po d’origine turque nous donne son point de vue.

Que penses tu de cette loi qui a été mise en place vis à vis des politiques actuelles ?
J’ai pu observer de grands intellectuels tels que Robert Badinter qui se sont soulevés contre ce texte, considéré comme « anticonstitutionnel » par ce dernier.
Je pense que c’était surtout un coup de bluff pour une loi qui ne sera jamais promulguée, qui sait ? C’est aussi et surtout dans un but électoral, pour montrer que notre Président soutient la minorité arménienne. Comme l’a dit un journaliste du ‘’Guardian’’, Timothy Garton Ash, c’est « compter les cadavres d’hier pour engranger les votes de demain ».

Pourquoi la minorité turque s’est elle élevée avec autant de virulence ?
C’est parce que la France n’a qu’une seule version de l’Histoire : celle de l’Arménie. Cette minorité bien implantée en France a su monter dans les hauts postes pour ensuite diriger des mouvements intellectuels, crées des associations pour faire de la pression. Ils ont pu ainsi guider des choix politiques. Malheureusement, la minorité turque n’a pas encore cette puissance mais celle ci tend à se développer.

Que s’est il passé lors de la manifestation parisienne du 21 Janvier 2012 qui avait réuni entre 15 000 et 40 000 personnes ?
A l’occasion de cet événement, des turcs venant de toute l’Europe se sont rassemblés pour dénoncer ce vote parlementaire. Pour la première fois, les turcs ont dépassé leur division (kémaliste, islamiste, pro et contre l’Europe) pour créer une conscience collective turco européenne. Cette cause commune nous a tous unis pour défendre nos intérêts ensemble. Nous avons dépassé le simple stade de l’installation en Europe pour pouvoir s’engager politiquement pour orienter des choix institutionnels qui nous concernent.

Quel est le type de relation qu’entretiennent N. Sarkozy et R. T. Erdoğan (Premier ministre Turc depuis 2003)?
Elle est avant tout composée de liens économiques. La Turquie est le 3ème partenaire économique de la France hors Europe (avec la Russie), après les US et la Chine. Cette place importante qui lui est donné sera difficile à enlever.
De plus, au niveau diplomatique, la Turquie a un rôle stratégique. C’est un pont entre le Moyen Orient et l’Europe. Et perdre la Turquie serait couper les voies de dialogues entre ces deux grandes régions.

Qu’en est-il de la réaction immédiate de R. T. Erdoğan qui a accusé la France d’avoir commis également un « génocide Algérien » ?
Je pense que c’est plus l’être humain que le représentant d’un Etat qui a réagit. C’est une action qui manque de maturité et qui peut être interprétée d’une manière différente suivant que l’on soit en Orient ou en Occident.
Pour les Européens, montrer autant de véhémence et parler d’une sanction répondant à la loi du talion serait légitimer leurs voix en faveur d’une pénalisation de la négation du génocide arménien. Cela pourrait confirmer la description faite par P. Devedjian qui considère que « la Turquie ne respecte pas les Droits de l’Homme ».
Et pour les pays Arabes, on y voit une personnalité qui s’élève contre une démocratie qui veut s’imposer sur le reste du monde, tel un diktat avec ses « soft powers » culturels et juridiques.

Comment est vue cette loi par les turcs ? Que pensent t ils de la relation de la Turquie avec l’Union Européenne ?
Il faut d’abord préciser que l’on pose trois barrières à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Il faut d’abord que cet Etat reconnaisse Chypre comme Etat indépendant, puis que le peuple français accepte par référendum l’intégration de ce pays au sein de l’UE (article 88-5 de la Constitution Française) et enfin, il est nécessaire que le Gouvernement reconnaisse les « évènements de 1915 » ou « génocide arménien » selon l’appellation.
On va aussi demander à l’Etat de se libéraliser, de se conformer aux directives européennes, peut être même de changer sa Constitution, etc.
Mais il ne faut pas oublier que les Turcs sont endormis dans un rêve Européen. Depuis 50 ans, on leur insuffle cette idée d’intégration en Europe qui ne se réalisera peut être jamais. J’espère qu’un jour, ils se réveilleront pour se rendre compte de la supercherie.
Car aujourd’hui, on veut pousser un Etat à revoir son Histoire. Cela va à l’encontre du principe de souveraineté, car on commence à prendre des décisions à sa place et à vouloir changer ses racines.


Peut on jouer avec la mémoire, avec les plaies de l’Histoire, pour avoir des voix dans une visée électorale ou personnelle ?
Quelle est la véritable utilité d’une telle loi « coup de poing » ?
C’est le Conseil Constitutionnel qui, dans quelques jours, nous donnera sa réponse, en regardant la Constitution mais aussi la Déclaration des Droits de l’Homme.

Définition du Génocide par l’Assemblée Générale de l’ONU du 9 Décembre 1948 :
http://cec.rwanda.free.fr/documents/CVN-1948.htm

Article traduit de Timothy Garton Ash dans  »The Guardian » du 20/01/2012 :
http://www.courrierinternational.com/article/2012/01/20/compter-les-cadavres-d-hier-pour-engranger-des-votes-demain

Photo : Chesnot/ Sipa

Sofia Azzedine

Etudiante à l'Institut d'Etude du Développement après un parcours du combattant passé dans les méandres de la Science Politique, entre la Sociologie et le Journalisme et les Langues Etrangères. Je souhaite toujours explorer ces banlieues plurielles méconnues et mal traitées pour jeter au sol ces préjugés. Tout cela, pour éluder toute l'humanité vivace qui existe dans ces régions de la différence et de l'indifférence et faire parler cette jeunesse silencieusement bavarde.

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