Pourquoi les quartiers populaires sont si différents des quartiers privilégiés ? Qu’est-ce qui fait leurs spécificités architecturales, et quelles en sont les origines politiques ? À l’occasion des European lab, le 26 mai dernier, une conférence avait lieu sur le thème de la ville. Intitulée « Puissance des villes : réappropriation des usages et nouvelles gouvernances », elle proposait d’interroger les modalités de l’occupation citoyenne des espaces urbains. Par exemple, dans les espaces de centre ville, ces occupations peuvent être politiques : Nuit Debout , Occupy Wall Street, mouvement des indignés… Elles peuvent aussi être à but purement social, comme le fête des voisins ou des festivals.
Stigmatisation des quartiers populaires et des banlieues pauvres
Dans les quartiers populaires, on a l’impression que ces deux aspects n’existent pas, ou bien en sont l’effrayant poltergeist. D’une part, les occupations politiques sont systématiquement réduites à des « émeutes », quand bien même elles surgissent à la suite d’une revendication politique et sociale. C’est ce qui rend les combats sociaux d’autant plus difficiles à mener quand on vient d’un quartier populaire, comme en témoigne le parcours de la famille Traoré à la suite du meurtre d’Adama Traoré. Leur lutte a été criminalisée : deux des frères du défunt ont été jugés et la mairie de leur ville a porté plainte contre Assa, leur soeur. Dans les quartiers populaires, seule la violence agissante est montrée, souvent exacerbée. En revanche, le discours politique est occulté.
Quant aux occupations sociales, comme les concerts et autres évènements musicaux, ils sont sévèrement condamnés, comme ce fut le cas en février, et tout récemment à Vénissieux.
Tout espace architectural deviendra péjoratif une fois installé en banlieue. Un lieu de culte en centre ville -une église ou une cathédrale par exemple- sera apprécié comme une construction à la fois spirituelle et un objet d’art. Tandis qu’en banlieue, le même espace social -une mosquée par exemple- sera considéré davantage comme un endroit de « radicalisation », et perçu négativement. Prenons un autre exemple, celui du bar PMU. Suivant sa localisation et sa population, il peut être un sympathique troquet, illustrant une passion bien française et sans que l’on s’attarde sur son aspect quasi exclusivement masculin. En revanche, ce même bar PMU, s’il est situé dans un quartier populaire, c’est son aspect sexiste qui sera grossi à l’extrême. Aspect dont on se servira pour criminaliser les populations du quartier.
Aujourd’hui, qu’en est-il des banlieues ? On remarque qu’elles deviennent un symbole pour les discours anti-islam et anti-immigration en cristallisant des conflits religieux et sociaux. Certains médias américains parlent même de ces espaces urbains comme étant des « no go zones ». Cette ostracisation n’est pas le seul fait des Etats-Unis, puisqu’en France, de grands médias relaient une vision tronquée. Au-delà de « l’affaire Sevran » citée plus haut, celle du quartier de Chapelle-Pajol utilise les mêmes ficelles. Certes, les femmes se font harceler dans la rue, et dans des quartiers pauvres. Mais elles sont aussi victime en plein coeur de l’assemblée nationale. Sur ces dossiers médiatiques, le Bondy Blog parisien a mené des contre-enquêtes, ici et là, révélant combien les ficelles journalistiques avaient restreint la projection véritable de ces espaces.
Le poids de l’architecture sur la construction sociale
Dans le documentaire « Pourquoi nous détestent-ils », Amelle Chahbi choisi d’enquêter sur les comportements racistes contemporains. Elle y raconte son enfance. Elle explique que ses parents avaient fait le choix de déménager en plein coeur de Paris plutôt qu’en banlieue. Une situation partagée par ses amis d’enfance, d’origines très modestes, dont les parents n’étaient pas des français-es pur souche. Or, tou-te-s ces camarades d’enfance occupent aujourd’hui des situations professionnelles prestigieuses. Leurs parcours sont très différents des habitant-e-s de banlieues, qui pourtant ont les mêmes origines sociales. Il est possible d’interroger l’importance de l’espace géographique dans la construction sociale et culturelle des privilèges. Les classes sociales privilégiées économiquement sont celles qui ont aussi un capital culturel plus important que les classes sociales les plus défavorisées. Pourtant, on observe la prédominance dans les quartiers favorisés des bâtiments représentatif de la culture dominante : bibliothèques, musées, salles de concert, théâtres, lieux de l’exercice du pouvoir… Ces institutions qui sont presque absentes des quartiers populaires.
Une contre-architecture
Les quartiers populaires sont en quelque sorte l’envers du décor capitaliste. Ils concentrent la pauvreté, en y logeant « l’armée de réserve des travailleurs ». C’était effectivement le cas à leur création, ils ont été construits rapidement afin d’héberger les travailleur-se-s immigré-e-s. D’un côté, les quartiers privilégiés du centre ville étaient construit selon des plans d’urbanisme favorisant l’expression artistique, ou la circulation du pouvoir . Les banlieues, elles, devaient répondre à des critères d’efficacité. Comme le révèle le site les inrocks, la police a pu décider avec les architectes des plans concernant les futurs bâtiments. C’est avec effroi que l’on imagine le modèle à atteindre : celui d’une prison panoptique. L’architecte veille avant tout à créer des lieux de vie, mais quand on y intègre les motivations policières se dessine tristement un nouveau mantra : surveiller et punir.
L’architecture des espaces urbains dédiés aux personnes en situation de pauvreté, on l’a vu, dépend d’une volonté initialement politique. Cependant, le bien-être des quartiers populaires serait une promesse de campagne intéressante, puisqu’elle concerne 4,8 millions de personnes. Lors d’un entretien avec Laurent Wauquiez, le président de l’association France des banlieues lui a demandé si la droite pouvait s’emparer de la question des quartiers populaires (autrement que d’un point de vue sécuritaire). Le Président de région lui aurait répondu « On va d’abord aller vers ceux qui votent pour nous, on va pas réveiller les gens des quartiers parce qu’ils risqueraient de voter contre nous. » Faut-il blâmer les abstentionnistes ? Ils rétorqueraient qu’en votant, ils donnent une légitimité à un système qui les méprise et n’inclut pas leurs préoccupations.
Espaces de luttes
Cependant, comme le rappelle Yvan Detraz « Ces quartiers-là, c’est historiquement ceux qui militent le plus » . En effet, on a tendance à dépolitiser fortement les quartiers populaires à cause de leur taux d’abstention. Pourtant, les mobilisations politiques sont importantes quand on en tient compte sans les criminaliser . Elles attestent d’une importante cohésion culturelle et sociale. Yvan Detraz travaille pour l’association « Bruit du frigo » afin de mettre en place avec les habitants des espaces d’appropriation urbains. Le regard qu’il porte remet en perspective le problème économique des banlieues. Au-delà des projets idéalistes que permet le luxe des privilèges : » Quand les besoins de base ne sont pas satisfaits, s’engager dans des histoires collectives pour défendre un intérêt commun, c’est pour la plupart des gens impossible. »
Car les quartiers populaires partent avec les handicaps de la pauvreté. Adrien, qui a participé à la conférence, travaille pour l’association LePoleS . Il témoigne avec regret de ce qui semble être une urbanisation à deux vitesses : dans les quartiers, il y a des institutions qui n’ont pas trop envie que ça bouge. « À Villeneuve la Garenne, les syndics d’habitats ont un impact politique assez énorme. » « Ça fait un moment qu’on essaye de mettre en place du maraîchage urbain, et c’est pas possible. » « Il y a la vie dans les quartiers, et il y a la vie dans la ville. »
Une seule solution : la cohabitation
Peut-on construire un quartier populaire idéal, et quelles en seraient les conditions? Selon Yvan Detraz, un quartier populaire ne peut pas être bénéfique. Par définition, il manque de diversité sociale :« Le problème, c’est la concentration de personnes au même endroit, qui sont dans la même situation. Que ce soit chez les riches ou les pauvres. Les quartiers riches ne génèrent pas davantage de sociabilité, de démocratie ou d’idées progressistes. Tout le défi de la ville, c’est de créer les conditions de la coexistence […]. «
Mais ne serait-ce pas tomber dans le piège de la gentrification? Celle-ci induit une hausse des prix des loyers et de la vie du quartier, forçant les habitants les plus pauvres à ne pas y habiter. La solution serait dans ce cas, toujours selon Yvan Detraz, de plafonner les prix des logements, de sorte que tou-te-s puissent y avoir accès. Une mesure intéressante, qui pourrait être une solution alors que le gouvernement annonce la baisse des APL.