Après 8 ans d’interdiction, la préfecture du Rhône a autorisé cette année la 23ème marche des fiertés dans le cinquième arrondissement de Lyon, principal fief de l’extrême droite.
« Contrairement aux années précédentes, cette décision représente une belle victoire pour les défenseurs des libertés publiques. On y va donc avec une très grande détermination », déclare David Souvestre, président de l’association lyonnaise Lesbian and Gay Pride (LGP), fédérateur de la marche des fiertés. L’homme ne pouvait pas rêver mieux. En réponse à la réunion programmée par la préfecture mercredi 6 juin, conviant les organisateurs de la marche et les services de l’État, un compromis a été établi. Le trajet aura bien lieu dans le quartier du Vieux-Lyon samedi 16 juin, bien que celui-ci sera raccourci, afin d’éviter de longer le QG des groupuscules d’extrême droite, volontiers homophobes. Depuis 2010, aucune manifestation LGBTI, regroupant la communauté homosexuelle, bisexuelle, transgenre et intersexe n’était autorisée à passer dans ce quartier de la capitale des Gaules.
Une approbation pas gagnée d’avance
De nombreux revirements de situation ont animé le long débat avant que le « oui » soit prononcé par la préfecture. La question du passage de la marche est évoquée tout d’abord le 23 mai dernier. Contre toute attente, la conclusion du rapporteur public donna de l’espoir aux militants de la gay pride. Pointant, une « erreur d’appréciation » du préfet, la préfecture réclamait alors l’annulation de l’interdiction partielle de la marche. Néanmoins, le 30 mai lors d’une nouvelle audience, la décision du tracé, qui semblait se tourner du côté des organisateurs, a finalement pris une tournure différente. Le tribunal administratif a fini par donner raison au préfet, voulant éviter des affrontements avec les identitaires et les nationalistes qui tentent de s’approprier le quartier.
Pour David Souvestre, le passage du défilé dans le quartier du Vieux-Lyon est à la fois une surprise et une grande satisfaction: « Nous étions persuadé qu’après la décision du tribunal administratif, la préfecture en profiterait pour nous refuser, encore une fois, de défiler sur la rive droite de la Saône. On avait alors réfléchi à d’autres trajets qui permettaient de parer certains de leurs arguments, en passant notamment par d’autres ponts, en rallongeant le trajet. Mais à la grande surprise, nous n’avons même pas eu le temps de leur présenter nos propositions qu’ils nous ont directement énoncé un tracé dans le Vieux-Lyon. » Malgré l’avis défavorable du préfet, la préfecture s’est montrée, selon lui, « très souple et ouverte au dialogue » lors de l’ultime réunion du 6 juin, donnant son accord à la LGP de défiler dans le 5ème arrondissement de Lyon. Une première en huit ans !
Une ignorance les autres années
Depuis quatre ans déjà, les services de l’État imposaient un parcours différent, invoquant des raisons de sécurité, notamment en 2015. Même scénario les deux années suivantes : le cortège n’avait pas pu atteindre le pont Bonaparte. Des impératifs liés à la lutte antiterroriste ainsi qu’un problème d’effectifs pour sécuriser la manifestation venaient également se rajouter au risque de conflits des groupuscules d’extrême droite. La complexité des lieux, avec ses rues étroites, les chars et les milliers de participants auraient rendu extrêmement difficile l’intervention des secours en cas d’attaque, selon la justice.
Pour le représentant LGP, le trajet accordé aurait pu être proposé depuis de nombreuses années. Il explique cette alternative par une image dégradante qui colle à la ville depuis quelque temps. « La différence entre l’édition 2018 et celles des années précédentes est qu’il y a nettement plus de pressions médiatiques qui définissent Lyon comment étant la capitale de l’extrême-droite. La marche des fiertés dans le Vieux-Lyon et sur les quais constitue un élément extrêmement symbolique, l’interdire serait véhiculer à nouveau une mauvaise image de la ville », affirme-t-il.
Des groupes qui sèment la zizanie
Investi depuis maintenant quelques années par plusieurs groupuscules d’extrême droite, le quartier du Vieux-Lyon commence de plus en plus à perdre son image de quartier cosmopolite, fondateur de partage et de sociabilité. Au centre du conflit : des identitaires de Rebeyne, des adhérents au Groupe Union Défense (GDU), plus récemment appelé Bastion Social mais également des membres du mouvement politique l’Œuvre française. Ces différents groupes, installés dans des locaux ouverts au public, exercent quotidiennement des pressions sur les habitants. Agressions, tags, affiches et stickers xénophobes sur les murs… les différents collectifs d’extrême droite sèment la terreur dans les ruelles du quartier. Lors de la déambulation ce samedi, un important dispositif de sécurité sera donc déployé pour garantir la liberté des manifestants.
Grâce à la marche, l’association représentante de l’événement espère une mise en lumière. « Il s’agit d’une reconquête de la ville. Le Vieux-Lyon ne doit plus être un territoire livré aux groupuscules et aux commerces affiliés à l’extrême-droite. Nous dénoncerons tout acte homophobe, raciste ou encore sexiste « , informe David Souvestre qui a accepté de réduire de 600 mètres le parcours pour passer dans le 5ème arrondissement. « Le sens politique d’y manifester est plus fort que la longueur du trajet. C’est une victoire collective qui n’aurait pas pu arriver sans que d’autres organisations s’en mêlent. Je pense notamment au collectif Fermons le Pavillon noir, au collectif de vigilance contre l’extrême droite et aux mouvements antifascistes de Lyon qui, ces dernières semaines, s’en sont pris plein la figure physiquement et politiquement « , poursuit-il. La 23ème marche des fiertés sonnera donc son coup d’envoi samedi, à partir de 14 heures, sur la place Bellecour. Au total, entre 12 000 et 15 000 personnes sont attendues dans le cortège qui passera notamment par le pont Bonaparte avant de longer les quais de Saône. Un moment qui promet d’être « gay » !
Par ailleurs, un sit-in en hommage à l’homosexuel Fodé-Moussa Camara, sera organisé avant le départ de la marche. Le jeune homme comparaissait devant la justice française le mois dernier pour avoir refusé de retourner dans son pays en Guinée, par peur d’être tué pour son orientation sexuelle. Hier, il a été condamné à deux mois de prison ferme et à deux ans d’interdiction du territoire français.