Le mardi 21 mai, Éric Lafond, colistier sur la liste Écologie Positive et Territoire pour les élections européennes du 9 juin, nous a accordé une interview. À l’approche de ce scrutin crucial, Lafond expose les motivations et les objectifs de son mouvement. Il aborde les défis de mener une campagne sans l’appui d’une grande marque politique, l’importance d’une écologie positive, la nécessité de décentraliser le pouvoir en France, et les réformes indispensables, selon lui, pour revitaliser la démocratie. Il partage également ses réflexions sur la participation des jeunes électeurs et les politiques migratoires européennes.
Lyon Bondy Blog : Pouvez-vous nous parler de la genèse de la Liste Écologique Positive et Territoires ?
Eric Lafond : La Liste Écologique Positive et Territoires est une initiative qui a vu le jour il y a un peu plus d’un an. Le groupe 100% Citoyens, dont je fais partie, a participé à plusieurs campagnes électorales. De ces expériences, nous avons tiré deux enseignements clés. Premièrement, mener une campagne sans l’appui d’une grande marque politique est extrêmement compliqué. Nos concitoyens ont du mal à identifier qui nous sommes et les médias ne nous traitent pas de la même manière que les autres. Deuxièmement, le processus électoral en France rend difficile l’émergence de nouvelles propositions et le renouvellement des idées, notamment en raison des seuils de représentation qui se situent autour de 5%, voire 10%.
En conséquence, nous avons pris notre téléphone et contacté divers mouvements politiques en France qui partagent notre vision de proposer quelque chose de différent. Nous avons organisé des rencontres entre ces mouvements, partant de l’idée que rester isolé serait inefficace. Finalement, une dizaine de mouvements se sont mis d’accord pour collaborer et participer aux élections européennes. Cette étape vise à nous donner une première expérience de travail en commun et à voir si nous pouvons réellement nous entendre et obtenir des résultats sur les sujets qui nous tiennent à cœur.
L.B.B : Pouvez-vous nous présenter votre mouvement, ces piliers ?
E.L. : Notre mouvement repose sur trois piliers principaux.
Le premier pilier de notre projet porte sur la question écologique. Il est désormais largement admis que des solutions en matière de logistique sont nécessaires pour inciter nos concitoyens, les entreprises, les acteurs associatifs et les pouvoirs publics à adopter des pratiques respectueuses de l’environnement. Les Verts ont monopolisé l’écologie politique depuis 20 ans, sans succès notable. De plus, l’écologie est perçue de manière négative, contraignante, voire stigmatisante. Il est impératif de changer cette perception. Nous souhaitons proposer une écologie politique positive qui montre que ces changements peuvent être bénéfiques et non contraignants. De nombreux exemples montrent que des solutions concrètes existent, mises en œuvre par les associations, les entreprises et les collectivités, pour transformer les pratiques de manière conforme aux enjeux écologiques actuels.
Le deuxième pilier repose sur la décentralisation. La centralisation historique de la France a montré ses limites, notamment en matière environnementale. Une planification écologique centralisée, décidée depuis Paris, n’a pas de sens. L’élection européenne est une opportunité pour aborder cette question, car nos voisins européens, qui sont plus décentralisés, réussissent mieux dans divers domaines, y compris l’emploi, la formation et l’aménagement du territoire. La décentralisation doit être sincère, en faisant confiance aux territoires et aux citoyens locaux. L’État doit se recentrer sur ses missions fondamentales, telles que l’instruction publique et la sécurité, tout en déléguant d’autres compétences aux acteurs locaux pour une gestion plus efficace.
Le troisième pilier concerne la confiance et la démocratie. La participation électorale diminue, signe d’un malaise croissant. Des réformes électorales sont nécessaires pour répondre à cette défiance. Nous proposons de considérer le droit de vote comme un droit fondamental. Aujourd’hui, ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales de leur commune ne peuvent pas voter, ce qui est inacceptable. Une liste électorale centralisée permettrait de voter partout en France. De plus, la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé est essentielle. Il permettrait de refuser une offre électorale, une demande sérieuse de nombreux citoyens.
Enfin, nous prônons des réformes pour une diversité de représentation électorale plus forte. Par exemple, rembourser les frais de campagne pour ceux qui obtiennent 1% des voix, comme en Allemagne, permettrait une plus grande diversité d’élus. Nous soutenons également le non-cumul des mandats, limité à deux, pour éviter les dérives liées à la trop longue durée des mandats.
Nous menons cette campagne avec beaucoup d’énergie mais peu de moyens financiers. Les partis traditionnels dépensent des sommes colossales pour imprimer des bulletins de vote et des professions de foi, ce qui est écologiquement insoutenable. Il serait possible de tout regrouper sur un site internet du ministère, comme pour les impôts, économisant ainsi des tonnes de papier. Ces réformes simplifieraient le processus électoral et réduiraient les inégalités entre les partis.
Nous proposons des innovations, comme une bande dessinée réalisée par notre tête de liste Yann Wehrling, pour rendre la campagne plus accessible et interactive. L’objectif est de moderniser et rendre plus équitable le système électoral français tout en respectant des principes écologiques.
L.B.B : On sait qu’il y a eu une majorité d’abstention aux dernières élections européennes surtout chez les jeunes, on se demande donc comment comptez-vous attirez les nouveaux électeurs ?
E.L. : On constate qu’à Lyon, comme ailleurs, de nombreux jeunes, ainsi que d’autres catégories de la population, s’éloignent de plus en plus de la politique. Pourtant, les Français sont ceux qui lisent le plus les programmes électoraux, ce qui témoigne d’un réel appétit pour l’idée européenne et pour des initiatives comme Erasmus, permettant de se former ailleurs et de se confronter à d’autres modèles d’enseignement. Toutefois, une partie de la jeunesse a massivement voté pour l’extrême droite lors des élections présidentielles, montrant ainsi que la jeunesse n’est pas un bloc homogène mais bien un corps social hétérogène.
Avec les 37 listes proposées, les électeurs devraient pouvoir trouver une offre qui leur convient. Cette diversité est aussi le reflet de notre culture consumériste, où les gens souhaitent trouver exactement ce qu’ils recherchent, sans effort supplémentaire. À mon avis, le problème réside en partie dans le système éducatif. En tant qu’enseignant dans le supérieur, je constate que l’instruction civique à l’école n’est pas suffisamment approfondie.
Les médias ont également un rôle crucial à jouer. Leur reticence a de nouveaux modes de débat et leur incapacité à créer de nouvelles formes de rencontres sont problématiques. Pourtant, des initiatives locales montrent que c’est possible : j’ai récemment participé à un débat à Chambéry avec 16 représentants et 150 citoyens, où chacun pouvait s’exprimer et débattre à tour de rôle en tournant de groupe en groupe pour répondre à certaines questions.
Notre système reste donc très conservateur, très figé. Si nous continuons ainsi, avec une baisse de la participation et une hausse du vote pour l’extrême droite, c’est la démocratie elle-même qui est en danger. Il est temps que ceux qui se disent démocrates, tant dans les partis politiques que dans les médias, se réveillent et fassent leur part du travail pour revitaliser notre démocratie.
L.B.B. : Quelle est votre position sur la politique migratoire européenne, notamment en ce qui concerne l’accueil des réfugiés ? On sait qu’avec notamment la montée des eaux, les mouvements des populations ne vas faire qu’augmenter.
E.L. : Il est important de distinguer deux sujets distincts concernant l’immigration en Europe. Le premier concerne l’asile politique, sur lequel l’Europe a réussi à établir un consensus. Actuellement, l’asile est restreint aux réfugiés politiques conformément à la Convention de Genève, et il est appliqué de manière uniforme quel que soit le pays d’entrée.
Le deuxième sujet, plus délicat, concerne les migrations de travail, qui créent des tensions importantes entre les États européens. Les besoins démographiques varient d’un pays à l’autre. Par exemple, l’Allemagne, confrontée à une pénurie de main-d’œuvre, est plus ouverte à l’immigration de travailleurs. Récemment, même des gouvernements très à droite en Italie ont validé l’entrée de nombreux migrants. En revanche, la France, avec un taux de chômage élevé, a des difficultés à justifier l’accueil de travailleurs étrangers alors que de nombreux citoyens sont sans emploi.
Quant à la question d’intégrer les migrants climatiques dans le processus d’asile, il est nécessaire de le faire. Malgré les efforts pour réduire le réchauffement climatique, des populations quitteront leurs terres et un certain nombre arrivera en Europe. Il est crucial de se préparer à cette réalité.
Actuellement, l’intégration des demandeurs d’asile est défaillante, dès le début. Le processus prend quatre ans, pendant lesquels les demandeurs n’ont pas accès à des cours de français organisés, ni à des activités structurées qui leur permettraient de s’intégrer et de contribuer à la société. À la fin de ces quatre ans, même ceux qui obtiennent le statut de réfugié sont laissés sans préparation, ce qui crée de nombreux problèmes d’intégration, de logement et d’emploi.
Nous devons améliorer notre capacité à traiter rapidement les demandes d’asile et à intégrer efficacement les demandeurs. Cela implique de reconnaître les compétences et les expériences des migrants dès leur arrivée, d’organiser des cours de français et de les former pour qu’ils puissent rapidement trouver un emploi et un logement. Actuellement, environ 150 000 demandes d’asile sont déposées chaque année en France, et environ 50 000 obtiennent le statut de réfugié. La question cruciale est de savoir comment traiter les deux tiers restants.
Ce sujet est avant tout diplomatique, mais une meilleure intégration serait bénéfique et coûterait moins cher à la société. Par exemple, même si je ne défends pas sa politique, sous Sarkozy, des cours de français ont été imposés, bien que 150 heures soient insuffisantes pour s’intégrer facilement et efficacement. Si nous accompagnions les demandeurs dès le début, les résultats seraient bien meilleurs.
En somme, une politique d’asile plus réactive et une intégration proactive sont essentielles pour répondre aux défis migratoires actuels et futurs.
Essia Ben Milled