INTERVIEW. Les banques françaises seraient de plus en plus à l’écoute des travailleurs immigrés souhaitant investir dans leur pays d’origine.
La France a connu des migrations d’ici et d’ailleurs qui ont su nourrir et enrichir la culture française. Bien de migrants se sont installés en France et sont aujourd’hui des acteurs économiques indispensables à l’économie hexagonale. Une majorité d’entre eux envoient fréquemment des devises dans leurs pays d’origine au moyen d’entreprises spécialisées dans le transfert d’argent ou, simplement, en transportant de grosses sommes d’argent sur eux.
Certains choisissent d’investir, dans l’immobilier ou dans la restauration. Ce sont de véritables budgets pour les pays émergents ou en voie de développement comme les Philippines ; ces flux financiers représenteraient 9% du Produit National Brut philippin ! Ce phénomène, assez peu organisé en France, n’est pas passé inaperçu auprès des banques françaises. C’est pour cela que ces dernières ont décidé de s’intéresser de plus près à ce marché afin de dégager évidemment plus de profits.
Entretien avec Didier, conseiller financier spécialisé dans les investissements des expatriés dans une grande banque française.
Est-ce qu’il y a vraiment un marché spécialisé dans l’investissement des expatriés ?
Evidemment, c’est indéniable ! Les étrangers vivant en France ont une place primordiale dans l’économie de notre pays et comme toutes autres tranches de notre société, ils ont un pouvoir d’achat. Ils consomment de façon active, mais des produits bien précis.
Quel genre de produits ?
La plupart de ceux-ci prennent des crédits à la consommation pour financer des projets immobiliers ou la création d’entreprises locales. Les taux sont plus élevés et surtout la période de remboursement est plus courte. D’où le besoin de créer le « crédit pour les expatriés » au taux préférentiel de 3% et surtout avec une période de paiement bien plus longue et bien plus appropriée que les autres.
Quel est le pays d’origine de ces clients ?
Ils ne viennent pas essentiellement d’un pays précis, mais il est vrai qu’en général ils sont originaires d’Asie ou d’Afrique. Mais nous avons aussi une clientèle sud-américaine qui croit de plus en plus. Pour vous donner un exemple, aujourd’hui, nous avons accordé un prêt de 15 000€ à un jeune gérant chinois d’un magasin de prêt à porter désirant développer un restaurant dans son pays natal.
Quels sont les projets que cette clientèle développe ?
En général, ce sont des projets immobiliers ou bien le développement d’entreprises locales dans leur pays d’origine. Je dirais que les africains privilégient la construction de résidence secondaire et les asiatiques, la création d’entreprise.
Je vais évoquer la question qui fâche : la crise financière orchestrée par les banques ne joue-t-elle pas un rôle important dans l’attribution de ces prêts ?
Dire que les banques sont à l’origine de la crise que nous traversons actuellement est un peu trop simpliste. C’est un problème bien plus complexe qu’on le croit. Les débiteurs ne sont pas les seuls touchés par cette difficile période, car les organismes créditeurs payent aussi le prix fort. Contrairement à ce que les medias disent, les banques continuent toujours de prêter.
Est-ce que d’autres projets sont à l’étude ?
Oui, nous sommes en pourparlers avec des banques africaines pour combiner prêt et assurance. L’intérêt de ce genre de projets est que le client aura un interlocuteur sur place et en France. Depuis des années, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne profitent activement de ce juteux marché. Les banques françaises, elles, n’ont pas su se positionner assez tôt. Elles ont accepté le cliché qu’immigré rime avec pauvreté, et ont laissé passer de très fortes marges bénéficiaires. Elles devront donc développer une gamme de produits plus larges pour qu’elle puisse contenter tous les clients. Finalement, n’ayons pas peur des oxymores, on peut parler d’une solidarité lucrative : bénéficiaire pour les banques et créatrice d’emplois pour ces pays.
Sofian Soltani