Entretien avec Nicolas Drolc, producteur, réalisateur et monteur sur le documentaire « Sur les toits », de passage à Lyon pour la ciné-conférence au cinéma le Zola. Il revient sur les mutineries dans les prisons françaises entre fin 1971 et 1972. L’occasion d’aborder avec lui cet événement méconnu, la genèse du documentaire et aussi le milieu du cinéma.
Est-ce que tu peux te présenter pour les gens qui ne te connaissent pas ?
Je m’appelle Nicolas Drolc, j’ai 27 ans et je viens de Nancy, dans le Nord Est. Je fais des films documentaires indépendants. Je fais aussi d’autres choses dans le secteur culturel. Je fais également de la musique et j’organise des concerts.
Qu’est-ce qui a inspiré ce documentaire ?
L’idée est venue par hasard. Mon père était reporter photographe pour la presse quotidienne régionale à Nancy (Est Républicain). Il se trouve qu’il avait, au début de sa carrière, fait des photos de la révolte de la prison de Nancy, le 15 janvier 1972. Quand il est parti à la retraite, il a ramené un certain nombre de photos à la maison. Je suis tombé sur des négatifs en 2009. Je connaissais bien cette prison, non pas parce que j’y étais allé mais parce que je passais tous les jours devant. J’habitais à côté. Les photos m’ont interpellées et j’ai décidé d’en faire un film.
Pourquoi l’avoir fait ?
Pour moi c’était évident. Personne ne l’avait fait, il fallait que ce soit raconté.
Le film est assez documenté : anciens prisonniers, matons, professeurs, etc. Comment s’est passé ce travail de recherche ?
Il y a eu un gros travail préparatoire. Je devais savoir tout ce qui s’était passé. Il s’est passé beaucoup de choses dans les prisons entre 1971 et 1972 qui ont conduit aux révoltes. J’ai du commencer par comprendre cela. J’ai lu les rares articles qui étaient sortis à l’époque. C’est finalement une histoire (Ndlr : celle des prisons) qui a été assez occultée. Surtout dans le contexte post 68 de l’époque. On parle rarement du mouvement des prisonniers mais il a été tout aussi important que les autres luttes de l’époque. Donc ça a été du travail de recherche dans des articles de presse, des centres de documentation à Paris, à l’IMEC (Institut de la mémoire et de l’Edition contemporaine à Caen) qui possède un centre d’archives Michel Foucault. En parcourant tous ces documents, je suis tombé sur un certain nombre de noms.
D’abord les noms des détenus jugés et condamnés comme les meneurs de la révolte à Nancy. Ensuite j’en ai contacté un que j’avais trouvé dans l’annuaire. On a fait une interview et comme ça piétinait un peu, j’ai passé un appel à témoins dans l’Est Républicain en disant que je faisais un film sur ces évènements et que je cherchais des témoins directs. Un ancien surveillant s’est manifesté, puis un autre détenu et ça s’est enchainé.
L’avocat interviewé dans le film, Henri Leclerc, qui a défendu les six détenus à l’époque, a accepté de témoigner. Pareil pour Daniel Defert, le petit copain de Michel Foucault, qui a accepté de raconter l’histoire du point de vue des intellos militants gravitant autour. Serge Livrozet, le dernier intervenant dans le film, est la figure majeure de la lutte pour les prisonniers puisqu’il a fondé avec Michel Foucault le CAP (collectif d’action des prisonniers) juste après les révoltes de 1972. C’était l’organisation la plus radicale qui souhaitait que les prisonniers prennent leur problème à bras le corps. Avec lui ça a été un peu différent parce qu’il a été militant actif pendant 30 ans et s’est retiré de la scène médiatique. Il refusait les demandes d’interview depuis dix ans. Il a accepté ma demande car on a eu un bon contact.
Combien de temps a duré le tournage ?
Deux ans et demi. Un an de travail de 8h à 1h du matin. Le boulot de recherche pouvait lui se faire les week-ends. J’ai été à la fois réalisateur, producteur, cameraman, monteur, traducteur. Je supervise la musique. C’est un gros boulot.
Quel a été le budget du film ?
Il est quasi nul. On a essayé de faire le film selon les logiques de productions officielles. C’est à dire demande de subvention au CNC, à la Région Lorraine, à la SCAM (société civile des auteurs multimédias), etc. Le milieu du cinéma est élitiste, extrêmement fermé. On n’y rentre pas comme ça quand on n’a pas ses entrées. Quand j’ai commencé, j’avais 25 ans donc de par mon âge je n’étais pas du tout crédible. Je n’avais pas la légitimité.
On a donc fait le film avec des copains, comme des pirates, sans que personne ne soit payé. C’est une entreprise entièrement bénévole. Le seul financement que j’ai eu est une bourse Défi Jeunes de 4 000 euros. Il faut savoir qu’un tel documentaire long métrage a un budget moyen de 150 000 euros. Si tu expliques à un professionnel du cinéma que tu peux faire le film avec 4 000 euros, il rigole et te dit que tu es plein d’illusions. Je suis content de m’être prouvé et d’avoir prouvé aux gens que c’est tout à fait possible.
On a eu la possibilité de faire le film pour la télé, avec des contraintes télévisuelles et un gars qui supervise l’achat et décide de ce qui rentre dans le film ou pas. Je ne voulais pas le faire dans cette logique. Donc je n’avais pas d’autre choix que de le faire de manière indépendante.
Ce documentaire t’a donné envie de retravailler sur la thématique de la prison ?
Non car je pense avoir fait le tour de la question. Je m’intéresse à l’histoire des luttes sociales mais je ne suis pas militant au Genépi, à l’OIP (Observatoire International des prisons), à Radio Libertaire ou à la fédération anarchique. Je n’appartiens à aucun parti ou organisation militante. J’ai fait un documentaire dans le milieu de la musique alternative, du rock, de la BD. La prison est un sujet qui est arrivé comme ça mais je ne tiens pas du tout à en faire un sujet de prédilection. J’aimerais faire un documentaire sur des gars qui fabriquent des amplis à lampe en petites séries en France, en Suède ou en Italie. Ca n’a rien à voir avec la prison, le militantisme ou les luttes sociales. Pleins de sujets m’intéressent. Je n’ai pas envie de rester cloisonné dans ce sujet.
Comment se passera le tournage de tes prochains documentaires ?
C’est toujours le même problème quand tu fais quelque chose avec le coeur et que ça devient ton métier. Tu ne le fais plus pareil. C’est rageant de voir des mecs qui font des mauvais films et te disent qu’ils en vivent pendant deux ans. Mais en même temps, je ne suis pas prêt à faire des compromis pour professionnaliser mon activité. Des personnes en vivent et gardent le contrôle sur ce qu’ils font, mais en général ils ont 50 – 60 ans et pas 20 – 30 ans. Je ne suis pas prêt à m’abaisser aux exigences du système pour en vivre. J’aimerais trouver un compromis mais je ne suis pas sûr d’y arriver. Le système est trop corrompu à tous les niveaux.
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