SANTE. Cette maladie touche plus d’un français sur dix. A Lyon, des professionnels se mobilisent, du CHU, à l’Institut Bocuse, en passant par la prévention santé de la ville.
Portrait d’Atika. Crédit photo : Andréa Aubert
Vanessa L, 31 ans, responsable d’équipe a accepté de nous recevoir dans l’ambiance intimiste d’un café de Vienne. Elle nous salue, commande un expresso et découvre, sous son trench beige, un top d’été fluide imprimé d’un jaune chaleureux qui nous ferait presque oublier la pluie dehors. Cette jeune femme obèse est dans une souffrance extrême due à son surpoids. Elle explique : « Aujourd’hui je suis dans une problématique où je ne peux presque rien faire. Je ne me sens pas à l’aise avec moi même et subir le regard des autres est trop violent. C’est à la fois subjectif et très objectif. » Alors que 30 000 opérations chirurgicales ont lieu chaque année pour réduire les problèmes d’obésité, Vanessa ne peut y avoir recours, car elle mange de façon compulsive de trop grandes quantités de nourriture. Ni chirurgie, ni régime ne sont pour elle des solutions envisageables. C’est donc un véritable travail de fond qu’elle doit mettre en place.
Apprendre à manger en fonction des sensations
« Les gens doivent apprendre à manger en fonction de leurs sensations. Il ne faut pas d’interdit ou d’inhibition. », explique Emmanuel Disse, praticien hospitalier universitaire au CHU de Lyon, au service de nutrition de l’hôpital Lyon Sud. Il insiste sur l’aspect pathologique de l’obésité : « L’obésité se définit d’abord comme une maladie chronique qui n’a aucune tendance spontanée à la guérison. Au contraire, elle est plutôt évolutive et il vaut mieux ne pas devenir obèse que d’essayer de ne plus l’être » constate le docteur, spécialiste du surpoids. « Il n’y a pas encore de réelle prise de conscience de cette pathologie », regrette Atika, trentenaire atteinte elle aussi d’obésité. « Je ne suis pas pessimiste mais réaliste » si t ‘es gros c’est de ta faute » reste encore trop dans les mentalités » regrette-t-elle.
L’obésité est un enjeu de santé publique, qui mobilise l’ensemble de la société. Selon la dernière étude OBEPI (Enquête nationale sur la prévalence de l’obésité et du surpoids en France), 15% des français sont obèses et 32% sont en surpoids. 47% des français ont donc un problème de poids, soit pratiquement un français sur deux. Mais, point positif, la courbe l’obésité en France s’infléchit actuellement : on commence à voir les effets de la politique du PNNS (Programme National Nutrition Santé).
Le secteur privé travaille également sur ces questions. A l’Institut Paul Bocuse, Xavier Allirot, ingénieur en agroalimentaire, à développé une thèse sur la fragmentation alimentaire. Il a profité des outils exceptionnels que propose l’institut : un restaurant expérimental avec une cuisine suréquipée et modulable en cantine scolaire, en brasserie, en bar ou en restaurant gastronomique en fonction de ce que l’on veut étudier. Un dispositif qui permet une recherche pluridisciplinaire alliant nutrition, sciences des aliments, évaluation sensorielle, sociologie, psychologie, linguistique, marketing, comportements des consommateurs, ou économie. « On a des caméras qui nous permettent d’étudier les comportements au sein de ce restaurant, explique le chercheur. Quand on étudie le comportement alimentaire, l’environnement dans lequel on mange est aussi important. Ici, on est dans une situation réelle de restauration. » En conclusion de son étude, menée en partenariat avec l’hôpital Lyon Sud, Xavier Allirot note que les sujets obèses ne répondent pas à leurs signaux physiologiques ou à leur sensation de faim de la même façon que des sujets ordinaires, sans pour autant pouvoir se l’expliquer : « Qu’est-ce qui a été déréglé ? Au niveau du comportement, que signifie avoir faim pour une personne obèse ? », questionne le chercheur.
L’obésité tue aujourd’hui plus que la faim dans le monde
Diabète, hypertension artérielle, syndrome d’apnée du sommeil, hypercholestérolémie, maladies cardiovasculaires, infarctus , AVC… Les maladies liées au surpoids sont légions et l’obésité tue aujourd’hui plus que la faim dans le monde. Il ne suffit donc pas simplement d’un peu de volonté ou d’un régime de quelques semaines pour que tout rentre l’ordre lorsque l’on est atteint d’obésité. « Quand des personnes essaient des régimes, dans 95% des cas elle reprennent du poids à la sortie », explique le docteur Disse. « Souvent les médecins traitants n’ont pas forcément le temps ou ne savent pas comment faire. A la faculté de médecine, l’enseignement sur l’obésité, c’est trois heures », déplore le médecin. Malgré cette méconnaissance et cette complexité, de nombreuses avancées ont vu le jour ces dernières années.
Le Docteur Disse. Crédit photo Andréa Aubert
Tout d’abord, halte à la brutalité sur les corps ! « Le régime n’est pas adapté aux personnes souffrant d’obésité, fait remarquer le Dr Disse. C’est une modification brutale et intense des apports alimentaires. Le corps est fait pour avoir un poids stable. Il tolère mieux la prise de poids que la perte : tous les systèmes d’alerte se mettent en place. Après trois semaines ou un mois où l’on a perdu cinq ou dix kilos, le corps fera tout pour retrouver son poids initial. C’est physiologique et normal. D’où tous ces régimes à répétition qui se soldent par un échec. Le risque c’est également de perdre du muscle pendant le régime et de récupérer de la graisse lors de son arrêt. Même si on ne reprend pas des kilos, on reprend de la graisse. Quelqu’un qui n’a plus de muscle, c’est quelqu’un qui ne peut plus maigrir. »
« Manger en fonction des sensations »
Il est donc préférable de privilégier une perte de poids modérée, mais durable, « de un à deux kilos par mois », précise le praticien. « Nous pratiquons une restriction calorique modeste et tenable sur la durée de l’ordre de 20%. Les gens doivent apprendre à manger en fonction de leurs sensations. Nous essayons de changer les habitudes alimentaires : cuisiner, préparer, acheter, consommer, sans que ce soit de la restriction, de la privation. Les gens ont souvent du mal à le comprendre. Cela représente entre 12 et 24 kilos par an, qui est du poids perdu et qui ne sera pas repris ultérieurement. »
En surpoids depuis qu’elle est petite, Atika regrette « la carence d’information au départ et surtout une mauvaise prise en charge pendant l’enfance », qui ont contribué à son obésité. « On m’a prescrit à douze ans des coupe-faim », explique la jeune femme, ce qui pour elle est « une aberration, car pour maigrir il faut manger sans se priver du plaisir sinon on subit l’effet yoyo toute sa vie. Le cerveau enregistre une frustration et dès que l’on a la possibilité de remanger « normalement » , la prise de poids devient explosive. » Avant son arrivée au CHU et sa prise en charge par le Dr Disse, elle n’avait jamais entendu parler de pathologie de l’obésité. « C’est courant », confirme le médecin : « De nombreuses personnes pensent qu’on est gros comme on est petit ou grand. Mais il faut que les patients prennent conscience que l’obésité est une maladie. » Une prise de conscience souvent bien difficile. Les chiffres démontrent que les femmes sont plus aptes que les hommes à ce changement de mentalité : « J’ai 80% de femmes en consultation, constate le spécialiste. Un homme reconnaîtra qu’il a du diabète et qu’il doit perdre du poids pour se soigner. Mais il ne reconnaîtra pas qu’il est obèse. Les femmes sont plus demandeuses de soins que les hommes. »
Atika a donc passé 5 jours à l’hôpital Lyon sud. Si elle a décidé de se faire soigner, ce n’est pas pour des questions d’apparence, mais de santé : « J’ai été modèle nu, j’aime bouger mon corps et ce travail m’a plu. J’ai une vie sexuelle normale. Je ne saute pas sur le lit pour éteindre la lumière. », s’amuse cette brune au regard malicieux. « J’ai fait de la plongée, avec trente kilos de moins ou de plus je suis encore moi, mon corps n’est pas une carapace. Mais aujourd’hui je m’essouffle, j’ai des difficultés à me déplacer, quelques vertiges dus à un diabète lié à l’obésité », raconte cette comptable, de 37 ans. Lors de son séjour au CHU, les médecins lui ont prescrit une calorimétrie« pour voir si le corps ne stockait pas mal les calories. J’ai eu un test pour l’apnée du sommeil, explique Atika, pour le taux de diabète et une batterie d’examens en plus des sessions de thérapie de groupe et des cours avec un coach sportif. » Afin de renforcer les acquis obtenus lors de séjour, on lui a ensuite proposé d’intégrer un centre de rééducation alimentaire à St Jean d’Aulps, près de Thonon, dans un cadre de verdure paisible, bordé de montagnes. Au programme un mois d’intégration avec sport quotidien et alimentation équilibrée, adaptée à son poids, ainsi qu’à ses pathologies. L’accès à l’extérieur est cependant limité et l’assiduité obligatoire sous peine d’exclusion.
95% des personnes reprennent du poids après un régime
Agir le plus tôt possible |
Réseau pour la prévention et la prise en charge de l’obésité en pédiatrie (Repop) propose un suivi à l’hôpital pluridisciplinaire (médecins, diététiciens, psychologues, kinésithérapeutes libéraux) et un suivi de proximité (diététique, psychologique, activité physique) sur la durée (2ans idéalement)) 50% des adolescents obèses resteront obèses à l’âge adulte. Plus on prend en charge tôt ce problème, plus on a des chances de succès.http://www.repop.fr/ |
Rien à voir avec le traitement subi par Vanessa, qui a décidé de se faire interner à la clinique St Vincent de Paul, à Lyon, dans un service aujourd’hui fermé. Elle raconte : « Dans ce centre, les personnes sont soit placées par un tiers, soit internées volontairement. Tout un diagnostic est fait dès l’entrée, afin de déterminer si vous souffrez ou non de TCA (trouble du comportement alimentaire). Vous êtes enfermé dans une chambre individuelle aux fenêtres scellées et sans toilettes. Il n’y a pas de télévision, pas de radio, pas de communication avec l’extérieur. On reste le temps qu’il faut dans cette pièce, et ça peut aller de 4 à 6 semaines. » Un traitement pour le moins extrême, qui lui a malgré tout, selon ses dires « sauvé la vie ». Pourtant, le Dr Disse ne le conseille pas : « Certains troubles alimentaires sont structurants et il peut être dangereux de les modifier. Il faut y aller doucement ou il y a un risque d’effondrement de la personne. »
Des politiques qui privilégient un travail de fond au spectaculaire
Le corps médical évolue de concert avec l’ensemble de la société, qui prend de plus en plus conscience de l’importance majeure du problème posé par le surpoids. Céline Faurie-Gauthier, conseillère municipale et conseillère déléguée à la prévention santé à la ville de Lyon opte pour une politique de prévention « avant tout » :« On mène un travail de fond depuis des années. Lyon fait partie des dernières villes à avoir conservé un service de médecine scolaire. On a un suivi des 34 000 enfants scolarisés dans nos écoles. Dès qu’il y a un problème, les infirmières, les médecins ou les assistantes sociales contactent les familles et proposent des séances d’éducation en classe aux enseignants sur la manière de s’alimenter. »
La prise en charge dès l’enfance passe aussi par une sensibilisation des parents : « Il faut que toute la famille soit partie prenante si il y a une démarche de santé. On a aussi mis en place des lieux « accueil parent » avec les service de médecine scolaire dans les quartiers où il y a le plus de difficultés sociales pour parler des pratiques alimentaires, ainsi que des ateliers de cuisine.» Un travail en direction des publics défavorisés indispensable, car il y a un rapport statistique entre pauvreté, manque d’éducation et surpoids. Le tout est accentué par une réalité économique : en terme de coût, plus un produit va être dense en calorie, gras et sucré, moins le prix de la calorie sera chère… et donc accessible aux français les plus démunis.
La mairie de Lyon propose enfin tout un travail autour du sport. « Il y a 60 000 abonnés au Vélo’V qui font un trajet moyen de deux kilomètres par jour ! C’est extrêmement bon pour la santé », se félicite l’élue lyonnaise. Et pour une fois, gauche et droite sont d’accord sur ce point : Nora Berra, l’ancienne secrétaire d’État du gouvernement Fillon, que nous avons également rencontré pour cette enquête, approuve cette politique qui « incite à l’exercice physique ». « Il faut laisser la voiture et marcher une demie heure par jour », rappelle ce médecin de formation.
Après ce tour d’horizon, on se rend bien compte à quel point l’obésité est une maladie complexe à prendre en charge. Elle nécessite un grand nombre de disciplines et de spécialités, afin de traiter la maladie dans sa globalité. Mais Lyon possède de nombreuses structures de pointe dans lesquelles de véritables solutions sont disponibles. Alors, halte à la brutalité sur les corps avec les régimes improvisés… Faites appel à de véritable spécialistes !
Lien
Plan Obésité : http://www.mangerbouger.fr/IMG/pdf/Plan_Obesite_2010_2013.pdf