De plus en plus de villes françaises font le pari d’une gratuité totale des transports collectifs. Le réseau lyonnais cristallise de nombreux débats sur la pertinence de cette mesure pour garantir un « droit à la mobilité ». Les écologistes de la Métropole y restent pour l’instant fermés.
Niort, Dunkerque, Calais, Douai, Bourges… En France métropolitaine, l’Observatoire des villes du transport gratuit a recensé 46 réseaux français optant aujourd’hui pour une mobilité collective sans ticket ni abonnement. Montpellier peut même se targuer d’être la plus grande agglomération d’Europe à avoir vu ses habitants abandonner le billet pour se déplacer. Les Lyonnais sont, eux, encore facturés pour emprunter tramways, bus, métros et funiculaires. Si les écologistes à la tête de la Métropole se montrent opposés à la gratuité totale – une « fausse bonne idée » et une « impasse certaine » selon le président Bruno Bernard – d’autres voix s’élèvent pour la défendre. Parmi elles, La France insoumise et le Parti communiste français, qui y voient un enjeu social et écologique majeur.
Un défi économique de taille
Dans ce débat qui divise la gauche, le financement est la principale pomme de discorde. Le budget 2025 de SYTRAL Mobilités prévoit plus d’1,7 milliard d’euros de dépenses. Face à des coûts d’exploitation élevés, l’autorité organisatrice des TCL dispose de plusieurs sources de revenus. La première est le versement mobilité, un impôt prélevé aux entreprises d’au moins onze salariés, qu’accompagnent les recettes de la billetterie, d’environ 310 millions d’euros. Viennent ensuite les contributions des collectivités, alimentées par les impôts locaux, et de l’Etat. L’emprunt permet de financer la plupart des investissements. Pour soutenir la gratuité généralisée des transports en commun, la fédération du Rhône du PCF propose par exemple une hausse de la taxe demandée aux employeurs. Un chemin emprunté par Montpellier ou Dunkerque, qu’aimerait suivre le Collectif Gratuité TCL, fervent défenseur du « droit à la mobilité ».
Le vice-président de la Métropole en charge des déplacements, aussi vice-président du SYTRAL, a exprimé davantage de réserves. « Ma première priorité, c’est de développer le niveau de service à tous les niveaux, la fréquence, l’amplitude, créer des nouvelles lignes, la simplification, la billettique, l’information aux voyageurs » a précisé Jean-Charles Kohlhaas au Lyon Bondy Blog. « Ça a un coût, il est bien évident qu’on ne peut pas se séparer de 300 et quelques millions d’euros de recettes par an » assène-il. Bernard Girard, président de la coordination d’associations DARLY (se Déplacer Autrement en Région LYonnaise), partage cet avis : « c’est des sommes qui aident à développer le réseau ».
En 2019, un rapport commandé par SYTRAL Mobilités au Laboratoire Aménagement Economie Transports (LAET) s’est penché sur la question. Les chercheurs jugent la gratuité inadaptée à l’agglomération lyonnaise, dont l’échelle « ne peut être comparée à des villes moyennes » où la mesure a pu se révéler bénéfique. Mais Montpellier, septième commune la plus peuplée de France d’après l’INSEE, au cœur d’une métropole de plus de 500 000 habitants, manquait à l’appel au moment où cette étude a été menée. Interrogé sur les espoirs que son entrée en jeu pourrait susciter dans la Capitale des Gaules, Jean-Charles Kohlhaas est resté sceptique. « Ils ont 30 millions de recettes usagers par an, c’est 10 fois moins que nous » a-t-il complété, fidèle à une réflexion « réseau par réseau ». « Je pense qu’ils vont en revenir, quand ils vont voir qu’ils n’arrivent pas à tourner, poursuit l’élu, je reste persuadé qu’ils sont dans l’erreur ». Il mentionne l’insoumise Alenka Doulain, conseillère métropolitaine qui, depuis l’Hérault, « se rend compte de l’échec total que c’est dans les grandes métropoles ».
« La gratuité pour ceux qui en ont vraiment besoin »
Les Ecologistes ont également rejeté la possibilité d’un modèle de gratuité partiel, comme celui implanté le week‑end à Nantes ou à Clermont-Ferrand. Lucien Angeletti, coprésident du Collectif Gratuité TCL, peut donc faire une croix sur l’expérimentation qu’il appelait à instaurer le dimanche, au micro de BFMTV Lyon. Pour Jean-Charles Kohlhaas, le système dont bénéficient les Montpelliérains n’est d’ailleurs « pas une gratuité totale, mais une gratuité limitée aux habitants ». Une « ségrégation » qu’un « homme de gauche » comme lui affirme ne pas pouvoir comprendre. Le vice-président aux mobilités se dit en revanche partisan de « mesures sociales ciblées », « pour ceux qui en ont vraiment besoin ».
« Les habitants de la Presqu’île, qui ont les moyens de se loger en Presqu’île et ont la meilleure offre de toute la Métropole, ne paieront pas plus que celui qui habite à Vaulx-en-Velin ou à Vénissieux, voire plus loin, qui ont une moins bonne offre et sont plus pauvres »
Jean-Charles Kohlhaas, vice-président de SYTRAL Mobilités et 5ème vice-président de la Métropole de Lyon en charge des déplacements, des intermodalités et de la logistique urbaine
Dès 2021, un abonnement solidaire gratuit est offert aux résidents du Rhône aux revenus les plus précaires, tels que les bénéficiaires du RSA ou de l’AAH. S’y ajoute un abonnement mensuel réduit à 10,50€, dont profitent par exemple les étudiants boursiers. Une initiative saluée par Bernard Girard. « Aujourd’hui, si on a 450 000 abonnés, il n’y en a que 4% qui payent 75 euros [la formule principale pour les 26 à 64 ans, ndlr] » renchérit le vice-président de SYTRAL Mobilités. Dès la rentrée scolaire prochaine, les enfants de moins de dix ans pourront par ailleurs voyager sans titre de transport sur l’ensemble du réseau.
Article signé par Cecilia Adrián Tonetti