Le recteur de l’Académie de Lyon Olivier Dugrip, figure clé du paysage éducatif régional, joue un rôle crucial qui s’étend bien au-delà des écoles et des collèges. Retour sur la première partie de cet entretien qui était concentrée sur les fonctions du recteur et les faits internes du fonctionnement des établissements dans la région AURA, notamment le harcèlement et la laïcité.
Lyon Bondy Blog : Pouvez vous présenter, enfin présenter le rôle du recteur? Comment se rythme la vie de l’académie Aura ?
Olivier Dugrip : J’ai la particularité d’être à la fois recteur de l’Académie de Lyon qui est en charge notamment du pilotage des trois départements de la Loire et du Rhône. Je suis le recteur académique de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Comme vous pouvez le voir, j’ai deux cartes dans mon bureau : celle de l’académie du Rhône . Chacune de ces responsabilités implique des missions et des compétences différentes.
En tant que recteur de l’Académie de Lyon, je pilote le système scolaire depuis l’école maternelle jusqu’aux classes préparatoires des grandes écoles. Cela concerne le fonctionnement des écoles et collèges. Je me suis également rendu dans des lycées, pour tout ce qui relève de l’Éducation nationale. Comme vous le savez, cela se fait en partenariat avec les collectivités territoriales, qui gèrent également les écoles et les bâtiments.
Les collèges dépendent du Nouveau Rhône ainsi que de la métropole de Lyon, qui détient certaines compétences départementales. Pour les lycées, c’est le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes qui est compétent.
En tant que recteur de la région Auvergne-Rhône-Alpes, j’ai des compétences spécifiques: j’exerce une autorité hiérarchique sur mes collègues recteurs de Clermont-Ferrand et de Grenoble, pour les missions qui relèvent du cadre régional. Ces compétences couvrent domaines dans le champ scolaire :
- La formation professionnelle : la carte des formations dans les lycées professionnels est définie par le recteur de région avec le président du Conseil régional
- Le développement du numérique éducatif et les relations internationales des établissements scolaires (jumelages, partenariats avec l’étranger).
- Le développement du numérique éducatif et les relations internationales des établissements scolaires
Dans le champ de l’enseignement supérieur, je suis chancelier des universités pour l’ensemble des établissements de la région :
l’Université de Lyon, l’Université de Clermont-Ferrand, l’Université de Saint-Étienne, celle de Grenoble, l’Université Savoie Mont Blanc, ainsi que toutes les écoles d’ingénieurs et les IUP.
Je représente également le ministre de l’Enseignement supérieur auprès de ces établissements. Ils sont autonomes, et j’exerce un contrôle en matière d’égalité et de budget.
LBB: Détenez-vous un pouvoir par rapport aux écoles privées ? Certains de nos lecteurs pensent que dans le privée, il y a plus de liberté.
O.D : Je suis aussi chargé de les contrôler. Il existe deux types d’établissements privés : les établissements privés sous contrat d’association avec l’État, où les professeurs sont rémunérés par l’État. Par conséquent, nous nous assurons que ces établissements appliquent bien les programmes scolaires et respectent l’ensemble des instructions pédagogiques.
Ensuite, il y a les établissements privés hors contrat. Ces derniers ne bénéficient pas du financement des professeurs par l’État, mais doivent néanmoins respecter les programmes scolaires, que nous contrôlons également, bien évidemment.
J’ai la chance d’avoir à mes côtés un recteur délégué pour l’enseignement supérieur, qui exerce ces compétences.
LBB : Depuis combien de temps avez-vous récupéré la délégation jeunesse et sport ?
O.D : Depuis 2020, je suis également recteur de la jeunesse et des sports. L’ ancienne Direction régionale de la Jeunesse et des Sports, qui était auparavant rattachée au préfet, est devenue une entité régionale académique dédiée à la jeunesse, à l’engagement et aux sports.
Désormais, la DRAJES (Direction régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports) est placée sous l’autorité du recteur de région. Dans ce cadre, je supervise notamment le service national universel et le service civique, qui sont pilotés par la DRAJES. Ce sont les principales missions du recteur d’académie et du recteur de région.
LBB : En tant que recteur académique de la région Aura , comment fait-on pour donner envie aux gens de devenir professeur ? Surtout qu’il y a une baisse significative de l’attractivité de la profession depuis ces dernières années. Comment attire-t-on des talents vers l’Éducation nationale ?
O.D : Vous posez la question et c’est justement pour cela que je dis que c’est le plus beau métier du monde. D’abord, il faut reconnaître que ce phénomène n’est pas propre à notre pays. Il s’observe dans l’ensemble des pays du monde. Il y a une baisse d’attractivité du métier de professeur, qui s’explique par de multiples facteurs.
Notre société a été profondément transformée par de multiples phénomènes : le développement du numérique, la diffusion de l’information et du savoir. Aujourd’hui, il y a le sachant, le professeur, et à côté, toutes les sources d’information auxquelles chacun peut accéder. De ce fait, même dans la société, l’aura et la position du sachant ont nécessairement été affectées.
Deuxièmement, il y a aussi la conséquence du fait que l’Éducation nationale est un service public. Comme tous les services publics, elle subit une forme de dévalorisation des missions d’intérêt général exercées dans notre société.
À cela s’ajoute un phénomène plus conjoncturel, qui est peut-être plus positif : l’embellie de l’emploi constatée au cours des derniers mois. D’autres possibilités de carrière, parfois mieux rémunérées, se sont offertes à nos jeunes concitoyens.
Enfin, je le dis souvent à mes interlocuteurs : nous avons trop de « prof bashing ». On parle beaucoup trop de ce qui ne va pas et pas assez de ce qui fonctionne bien. Pourtant, il y a bien plus de choses qui vont dans le bon sens que l’inverse.
LBB : Alors, qu’est-ce qui va bien ?
O.D : Chaque matin, il se produit un miracle auquel personne ne prête attention. Dans l’académie, des centaines de milliers d’enfants vont à l’école, au collège et au lycée. Et cela fonctionne, tous les jours. Ils ont la chance d’avoir un professeur et de terminer l’année scolaire en ayant appris, grandi. C’est extraordinaire, mais personne ne le remarque.
Je mesure aussi au quotidien l’engagement formidable des professeurs auprès de leurs élèves. Ils leur apportent bien plus que l’enseignement seul. Il y a un dévouement remarquable de la part de nos enseignants, que ce soit dans le cadre scolaire ou en dehors.
LBB : Personne ne le dit. Comment restaure-t-on justement l’autorité des professeurs face aux élèves ?
O.D : C’est un problème global de société, qui ne concerne pas uniquement l’Éducation nationale. La différence aujourd’hui, par rapport à la situation antérieure, c’est qu’à l’époque, le milieu scolaire était protégé, imperméable à ce qui se passait à l’extérieur.
Ce temps-là est révolu. Avec les évolutions actuelles, il existe désormais une perméabilité entre l’extérieur et l’intérieur de l’école. Les élèves arrivent dans leur établissement scolaire avec ce qu’ils ont vécu à l’extérieur, notamment à travers le téléphone portable et les réseaux sociaux.
Cela entraîne l’apparition de comportements qui n’avaient pas leur place auparavant dans le monde scolaire, mais qui y ont désormais pénétré.
LBB : Seriez-vous favorable à l’interdiction des téléphones portables dans les établissements scolaires ?
O.D : Absolument. Je suis tout à fait favorable à cette interdiction. Vous savez que c’est une mesure qui a été décidée et mise en œuvre l’année dernière. Tous ceux qui l’ont appliquée vous diront que cela transforme profondément le climat scolaire.
Il faut maintenant trouver la bonne approche. Nous n’avons pas besoin de cet instrument pour être connectés aux réseaux sociaux, etc. Cependant, cela peut aussi être un formidable outil pour la diffusion du savoir et des connaissances, ainsi que pour les pratiques pédagogiques. Il est donc nécessaire de trouver les bons usages, en évitant tout ce qui pourrait altérer la qualité du climat scolaire.
Aujourd’hui, cet outil est à l’origine de nombreuses situations de harcèlement. En supprimant l’usage des téléphones dans l’enceinte scolaire, on élimine immédiatement de nombreux phénomènes de harcèlement.
LBB : Très bonne transition, justement. Que fait le recteur d’académie pour lutter contre le harcèlement scolaire dans l’Académie ?
O.D : Nous faisons beaucoup de choses. D’abord, nous avons mis en place des moyens spécifiques, car le ministère a délégué des postes dédiés à la lutte contre le harcèlement. J’ai, auprès de moi, une équipe chargée de cette mission, avec des relais dans chaque département et des référents dans chaque établissement scolaire.
Il s’agit d’un véritable réseau de lutte contre le harcèlement. Notre objectif est double : prévenir les phénomènes de harcèlement en instaurant un climat scolaire serein et, lorsqu’une situation survient, réagir rapidement en ayant l’information au plus vite.
Nous sommes informés par divers canaux : des courriers envoyés par des familles, des signalements des équipes scolaires, ou encore via la plateforme nationale et le numéro 3018 permettant de signaler les cas de harcèlement. Aujourd’hui, notre réactivité est quasi immédiate. Lorsque la plateforme est alertée, nous avons un délai de 48 heures pour intervenir.
LBB : Cela concerne aussi la protection des professeurs. Chaque incident impliquant un professeur vous est-il signalé ?
O.D : Tout à fait. Il existe un système de signalement effectué par le chef d’établissement et transmis à l’autorité académique. Chaque jour, je reçois ces signalements et je demande, en plus, une synthèse chaque vendredi pour avoir une vision d’ensemble des incidents de la semaine.
JPB : Avez-vous constaté une progression, une diminution ou une stagnation de ce type d’incidents ?
O.D : Alors, sur la période, on observe un double phénomène. D’une part, il y a une multiplication des atteintes à ce que j’appelle le bon ordre scolaire. Nous recevons aujourd’hui beaucoup plus de signalements qu’autrefois.
LBB : C’est-à-dire qu’il y a plus d’événements ou qu’ils sont simplement mieux signalés ?
O.D : Il y a aussi, malheureusement, une aggravation des situations signalées. Elles sont plus nombreuses et plus graves. C’est un phénomène préoccupant. C’est d’ailleurs pour cette raison que la ministre a récemment décidé de renforcer les moyens consacrés à la vie scolaire.
En ce qui concerne l’Académie de Lyon, j’ai reçu une délégation de 50 nouveaux emplois de CPE et d’assistants d’éducation, que je pourrai recruter dès le début du mois de janvier prochain.
Cela dit, ce phénomène s’est particulièrement accentué ces trois ou quatre dernières années. Il faut toutefois nuancer, car cette année, on constate une diminution par rapport à l’année dernière, où nous avions atteint un pic. C’est un signal plutôt positif.
Il y a eu une forte augmentation sur les trois ou quatre dernières années, mais une baisse par rapport à l’année précédente. Cela dit, je reste prudent, car ces observations concernent uniquement la période de septembre à novembre, soit trois mois. J’attends de voir si cette tendance se confirme sur l’ensemble de l’année avant de pouvoir affirmer que le climat scolaire s’est apaisé.
LBB : Et concrètement, comment y parvient-on ? Vous avez parlé d’un renfort de CPE dans les établissements, mais cela ne semble pas suffisant. Que proposez-vous pour les enseignants et les élèves afin de favoriser un climat plus serein ?
O.D : Cela passe par la mobilisation de toute l’équipe éducative. Ce n’est pas seulement un problème d’équipe de vie scolaire. Le climat scolaire dans un établissement implique l’ensemble de la communauté éducative : les professeurs bien sûr, mais aussi les parents d’élèves et tous les partenaires qui participent à la vie de l’établissement. Il faut une bonne coordination de tous ces acteurs pour que le climat scolaire soit apaisé.
LBB : On parle souvent des problèmes avec les élèves, mais qu’en est-il des parents qui contestent de plus en plus l’autorité des professeurs ?
O.D : Oui, il faut le dire clairement : le problème ne vient pas tant des élèves, que nous savons gérer, mais plutôt de certains parents. Lorsqu’un élève se comporte mal et que ses parents lui donnent raison, cela complique énormément les choses.
LBB : Il y a d’ailleurs un film récent sur ce sujet avec François Civil, Pas de vagues.
O.D : Lorsqu’un élève est réprimandé bon par ses professeurs ou par son principal, il a parfaitement conscience qu’il s’est mal comporté. Si ses parents viennent et lui donnent raison, on ne peut rien faire. Ce n’est pas un problème de l’école, c’est un problème de société.
LBB : Justement, que peut-on faire par rapport à ces élèves et ces parents d’élèves ? Faut-il les sortir de l’éducation nationale en sachant toutes les difficultés que cela implique ? Est-ce qu’il faut leur proposer d’autres filières dans des établissements plus spécifiques ? Concrètement comment peut-on faire ?
O.D : Je pense d’abord qu’il faut affirmer de manière très claire que quand on est dans un établissement scolaire, il y a des règles de vie collective qui doivent s’appliquer à tous. Et donc, il y a un règlement intérieur, il y a des règles de comportement, il y a nécessairement l’expression d’une forme de respect à l’égard des adultes. Et bien évidemment de toute l’équipe éducative et pédagogique. Pas seulement à l’égard de la personne qui peut travailler à la cantine mais il doit y avoir cette forme de respect et de considération pour tous ceux qui travaillent dans l’établissement. Il doit y avoir aussi une forme de fraternité entre élèves, d’empathie, de sympathie. Il faut que l’on ait conscience que quand on est dans un établissement, ces règles doivent s’appliquer. De dire qu’un établissement scolaire, c’est un lieu dans lequel souffle l’esprit et que ça ne peut pas être un lieu dans lequel pleuvent les coups. Il faut qu’on ait la capacité de faire vivre cette réalité.
LBB : Qu’en est-il de la question de la laïcité qui est quand même la question centrale de l’heure actuelle ? La lutte de la laïcité au sein des établissements ? Vous voyez là aussi une progression bénéfique, négative, une stagnation ?
O.D : La laïcité est impérative si l’on veut faire vivre deux notions voisines qui sont l’égalité et la fraternité. Si l’on veut qu’il y ait de l’égalité, de la paix et de la fraternité. Il n’y a pas de place pour des distinctions tenant compte à l’origine de la religion. Quand on est à l’école, on est jeune français, française, on n’affiche pas sa religion ou ses croyances. Ce qui permet d’être égaux et fraternels. Je pense donc qu’il faut être très stricte sur ce sujet et ne tolérer aucune atteinte au principe de la laïcité qui serait par nature même un facteur de division et d’introduction du séparatisme au sein de quelque chose qui a vocation à être une communauté pédagogique.
LBB : Et que répondez-vous à ceux qui disent que vous allez à l’encontre de la liberté religieuse ? Que la déclaration de la laïcité va à l’encontre d’une personne ?
O.D : C’est tout à fait le contraire. La laïcité reconnaît l’existence des religions et reconnaît le droit de chacun d’avoir une religion de son choix ou de ne pas en avoir. C’est grâce à cela que vous pouvez avoir dans une même salle de classe des athées, des catholiques, des protestants, des juifs, des musulmans, des hindous… Quand on est dans la classe, on est élève sur un plan d’égalité et de fraternité et on n’arrive pas en disant mais moi je suis ceci ou cela.
LBB : Pensez-vous qu’il faut y avoir plus d’éducation à la pensée religieuse ou aux différentes religions dans les établissements ou ce n’est pas le lieu selon vous ?
O.D : C’est prévu dans les programmes scolaires. Et au contraire, c’est une nécessité. Je pense que c’est un élément indispensable. Nous avons la chance d’avoir une grande diversité. On a l’Institut culturel du judaïsme, on a un institut français du culte musulman avec lesquels nous avons d’ailleurs des partenariats. Je souhaite que nos élèves puissent aller voir ces différents lieux pour savoir qu’il y a la religion catholique, la religion musulmane, la religion juive, quelle est la spécificité de chacune de chacune d’entre elles… Pour avoir le respect et la tolérance envers les autres. Il ne s’agit donc pas de convaincre parce qu’il ne s’agit pas d’interdire ni de favoriser le repli sur soi. Au contraire, il faut faire découvrir cette diversité qui est un enrichissement et qui favorise le respect. On doit connaître ces différentes religions, mais on ne les pratique pas quand on est dans le système scolaire.