« Frontière », « Immigration clandestine », « trafic », « guerre de gang »… Eh non, il ne s’agissait pas d’un énième discours sur la politique intérieure française, mais bien d’une présentation de film pendant le Festival Lumière. Quand le cinéma américain des années 50′ permet d’évoquer l’actualité…
J’avoue, je n’avais jamais vu de film du mythique réalisateur américain Orson Wells. J’avoue encore, je ne suis pas une fanatique des vieux films en noir et blanc, et j’ai beaucoup de mal à m’enthousiasmer pour les aventures de héros des années 50 qui me paraissent si loin de ma réalité. Alors pourquoi aller voir cette projection de La soif du mal d’Orson Wells, polar noir datant de 1958 ? Parce que l’invité qui introduisait le film avait visiblement des choses à dire sur la réalité d’aujourd’hui.
Écrivain américain*, Jim Harrison connait bien les problèmes d’immigration: « Cela fait plus de vingt ans que je passe la moitié de l’année sur la frontière mexicaine, et ce qui se passe là-bas est tragique! ». A cet endroit,une ligne de plus de 3000 km sépare les riches USA du Mexique en développement. Immigration clandestine et trafic de drogue sont donc monnaie courante.
« Vous imaginez ? 25 000 personnes tuées au Mexique ces dernières années dans les guerres des narcos et l’Amérique dépense des fortunes en Afghanistan ! J’aimerais bien parler de ça à un public français ». Prenant prétexte d’un film dont l’enquête policière tourne autour des trafiquants de drogue mexicains, l’écrivain américain raconte sa réalité de la frontière : rencontre avec une caravane de passeurs de drogue lors d’une balade, aide à des migrants mexicains assoiffés, etc. « Il y a un canyon près de chez moi où on trouve certaines zones à la végétation beaucoup plus verte. Un jour, une policière m’a expliqué que c’étaient les cadavres des immigrants clandestins qui avaient fertilisé le sol là où ils s’étaient décomposés… »
Son récit prend peu à peu un élan engagé : « Cette frontière est l’objet d’un grand mépris de la part des politiciens de Washington. Ils parlent de nombre, mais ils ont oublié à quoi ces nombres correspondaient! […] Je me suis interrogé sur les raisons qui poussent ces mexicains à émigrer, alors que je trouve le Mexique magnifique […], mais lorsque de leur côté de la frontière on gagne péniblement en une journée ce qu’on peut gagner en une heure sur le territoire américain, il est normal que ces gens émigrent pour échapper à leur sort… ». Un problème pas tellement spécifique aux États-Unis, ce que souligne d’ailleurs Jim Harrison, évoquant les Turcs en Allemagne et les récentes mesures prises par Nicolas Sarkozy envers les Roms.
Des propos percutants au milieu d’un très officiel – et parfois un peu mondain – festival du cinéma. Mais c’est sûrement cela le « plus » de ce Festival Lumière, qui souffle seulement ses deux bougies cette année. Si la programmation des films est belle, la liste des invités qui sont là pour vous donner envie de voir les films est encore plus alléchante et variée. Jean-Louis Trintignant, Marjanne Sastrapi, Tony Gatlif, Azouz Begag ou encore Kad Merad font partie des VIP, qui auront peut-être autant à raconter sur la virtuosité d’un réalisateur que sur la réalité d’aujourd’hui.
* Jim Harrisson est surtout connu du grand public pour avoir écrit des romans adaptés par Hollywood, dont Légendes d’Automnes ou Wolf. Il est aussi l’auteur d’une trentaine de livres traduits dans le monde entier et a été promu membre de l’Académie Américaine des Arts et des Lettres en 2007.
Laure Marandet