Nous continuons notre série d’entretiens sur les 100 jours de Grégory Doucet à la Mairie de Lyon avec Julien, militant du Parti Communiste Français. Dans cet entretien, Julien insiste sur l’importance des politiques de logements.
Cet entretien a été réalisé le lundi 19 octobre 2020. Il est important de le remettre dans son contexte, notamment au regard des annonces municipales (annulation de la Fête des Lumières) ou gouvernementales (deuxième confinement).
Quel regard portez-vous sur le début de mandat de Grégory Doucet ?
Mon regard il est globalement positif puisqu’on sort d’une période où il ne s’est pas passé grand chose : le dernier mandat de Collomb. Il y a un nouveau dynamisme. J’ai vu des élus très investis. Malgré le retard des élections, ils ont pris le train assez vite. Ils ont sorti des projets dès le mois de septembre. C’est allé très vite notamment sur la piétonisation des écoles, cela aurait dû être déjà fait depuis 10 ans. Collomb s’y est refusé toutes ces années. On a senti une volonté de rattrapage.
Ils ont fait preuve d’un courage politique sur tout ce qui concerne « les mobilités », pour encourager par exemple les aménagements pour le vélo. Les piétons et les vélos sont mis au centre de la ville.
Maintenant est-ce que ce courage politique va se traduire aussi dans la politique du logement social ? Il faudra surveiller ça dans les prochains mois.
Quel est selon-vous le dossier que la mairie doit mettre en priorité ? Et faites-vous confiance à Grégory Doucet et son équipe pour y faire fasse ?
Le dossier principal pour moi c’est la politique du logement !
L’augmentation des prix de l’immobilier, aussi bien à l’achat qu’en location, fait que les lyonnais n’arrivent plus à se loger dans leur ville !
On assiste à un remplacement des populations qu’on appelle la gentrification. Ce n’est pas forcément quelque chose de négatif comme on le voit à la Soie, mais toute population en gentrifie une autre. On arrive à voir des populations de classe moyenne ou supérieure qui se font gentrifier par une autre population encore plus riche.
Ce qui pose souci, c’est que ces populations vont aller gentrifier des populations plus populaires et les mettre encore plus loin. Cela amène de nouvelles problématiques sur les transports… Je ne suis pas sûr que les verts vont prendre ce problème à bras le corps.
Le Maire et le président de la Métropole ont demandé le 1er octobre au Premier Ministre l’assouplissement des mesures sanitaires dans la métropole lyonnaise. Grégory Doucet avait montré qu’il était contre la fermeture des bars, qu’aviez-vous pensé de sa position sur le sujet ? Selon vous, quelles répercussions aura le couvre-feu sur les lyonnais ?
Le couvre-feu, si c’est juste pour dire aux gens “ ne prenez pas de risque, ne sortez pas de chez vous ” c’est un peu absurde ou alors, il faut aussi imposer aux entreprises de privilégier le télétravail.
Ne pas simplement sacrifier la vie sociale et culturelle au nom d’une crise sanitaire où le seul souci c’est la saturation des hôpitaux. Je n’ai pas forcément d’avis sur le positionnement de Grégory Doucet : il a quand même un électorat commerçant à protéger… Ce qui est sûr c’est qu’on paye la non-création de lits en hôpital et le non-recrutement d’infirmiers.
En septembre, Grégory Doucet a signé une tribune pour un moratoire sur la 5G, afin qu’il y ait avant son déploiement, un débat démocratique à son propos. Etes-vous d’accord avec cette tribune ?
Je n’ai pas lu la tribune, mais n’importe quelle technologie qui apparaît devrait faire l’objet d’un débat. A savoir dans un premier temps si on est pour ou contre son arrivée. L’absence de débat est plus choquante que l’installation de la 5G elle-même.
La question est de savoir comment elle est mise en place, par qui et pour qui ? S’il s’agit de servir l’hospitalier ou la télémédecine, tant mieux !
C’est toujours pareil, à qui profite le crime ? S’il s’agit de mieux collecter les données pour les GAFAM, je ne vois pas trop l’intérêt. Donc il faut un débat sur la 5G, que l’on puisse se positionner clairement dessus.
Dernièrement, Grégory Doucet prévoyait de maintenir la fête des lumières à une jauge de 5000 personnes. Pensez-vous qu’il est encore possible de la maintenir, et dans quelles conditions ?
Je pense qu’il n’est malheureusement pas possible de la maintenir. Si on écoute le corps médical et les spécialistes tout indique le contraire. Depuis juin, on nous annonce un nouveau confinement à la fin de l’automne, je ne pense pas que dans deux semaines la situation se soit grandement améliorée et qu’on puisse maintenir la fête des lumières. Je pense aussi que Grégory Doucet en a conscience et qu’il essaye d’adapter quelque chose pour sa tenue. De mon point de vue cela semble très compliqué.
Voyez-vous une différence dans vos capacités à discuter avec la majorité lyonnaise depuis que les équipes de Grégory Doucet sont au pouvoir ?
Pour l’instant non… Les élus communistes n’ont pas de mal à discuter avec leur majorité. Il y a d’ailleurs beaucoup de maires d’arrondissements qui sont ouverts à de nombreuses propositions communistes mais pas seulement. Il y a un climat serein, de dialogue, de débat et de prise en compte des différentes idées. Après il faudra voir comment ça se matérialise pour le citoyen lambda. Il voulait dépoussiérer les conseils de quartiers et les remettre à l’ordre du jour. A Monplaisir, il y a une espèce d’antichambre anti-démocratique avec un élu qui prenait les meilleurs idées pour les mettre sur un programme et qui ne laissait aucune marge de manoeuvre aux citoyens pour créer des projets. Si demain la majorité met vraiment un budget pour ces conseils et donne une liberté au débat, ça peut être intéressant.
Grégory Doucet souhaite recruter 20 policiers municipaux supplémentaires, parallèlement il projette d’implanter dans tous les quartiers une antenne de police municipale. Faites-vous confiance aux élus écologistes pour traiter les questions de sécurité et pourquoi ?
Je suis relativement confiant envers eux pour traiter les questions de sécurité. Ce n’est pas l’apanage des écologistes ou de quiconque. La question c’est de savoir quelle police on veut. Je suis totalement favorable à un déploiement d’antenne de police municipale mais pas que, aussi de services publics dans les quartiers. Que ce soit des bureaux de poste ou même les guichets SNCF. Le redéploiement des services publics dans tous les arrondissement est une vraie problématique. Le simple déploiement de forces de police est insuffisant. Il faut aussi que dans les centres sociaux qu’il y ait un lien avec les assistantes sociales. Il faut un parcours complet d’alternative à la délinquance. Quoi qu’il arrive, avoir une police de terrain qui est abordable à pieds et qui n’est pas là uniquement pour mettre des contraventions c’est toujours utile. Cela dépend de la manière dont on voit un ASVP ou un agent de police municipale. Il faut restaurer un dialogue, créer un quartier où les liens sociaux permettent de répondre à n’importe quel problème sans que cela ne monte en violence.
La Mairie souhaite renforcer son action pour l’égalité à travers la mise en place d’un “budget sensible au genre” sur l’éducation et le sport, la valorisation du travail des femmes à travers la commande publique ou encore l’ouverture d’un débat sur l’écriture inclusive. Pensez-vous que ces initiatives sont efficaces ou qu’il s’agit d’une campagne de communication ? Êtes-vous favorables à ce genre de pratiques de discrimination positive ?
Je dirais que oui, je suis favorable à la discrimination positive. Je ne pense pas que l’ensemble des sujets régleront les principaux problèmes que peut avoir une femme à Lyon. Aujourd’hui on a cinq logements pour femmes battues à Lyon. Pour moi il faut massivement développer des appartements de refuge. Il y a tout un parcours résidentiel à créer lorsqu’une femme décide de s’échapper, cinq résidences c’est totalement ridicule dans le parc social !
Sur le harcèlement de rue, on attend aussi beaucoup plus ! J’ai des amies qui se sentent mal de nuit dans des quartiers comme la Guillotière. La question ce n’est pas simplement celle de l’écriture, il y a la question de l’éducation mais aussi des moyens à donner pour faire face au harcèlement. Même à vélo des femmes se font harceler à Lyon. Il faut aussi de la répression, il y a des lois, il faut les appliquer.
La métropole de Lyon a fait plusieurs propositions d’aide aux quartiers populaires tels que la création de Maison de l’alimentation dans les 37 quartiers prioritaires de la ville ou encore l’augmentation significative du nombre de logements sociaux. Que pensez-vous du fait que la Métropole semble prendre les décisions les plus importantes en la matière ?
Ca dépend du pourcentage qu’on met dans les logements sociaux. Aujourd’hui les 25% réglementaires ne sont pas suffisants lorsque 80% de la population y a droit. Il y a la question du nombre mais pas que. Je suis un peu désappointé sur le terme de “mixité sociale”, je n’y crois pas pour la simple et bonne raison que les riches ne se mélangeront jamais !
Ce qu’on a fait à la Duchère ou à Mermoz c’est pas de la mixité sociale. On invite des classes moyennes qui ne peuvent se loger sur Lyon. On fait baisser un stock de logement pour de la mixité sociale mais en fait ces logements sont occupés par des gens de classe moyenne et les logements sociaux vont plus loin. L’encadrement des loyers est une première démarche pour le parc locatif. A aucun moment il n’est question de l’achat. Les loyers sont un problèmes, les loyers comme Airbnb c’est un autre problème. Mais si l’achat reste à 6000 euros le mètre carré, on n’a rien réglé. Il y a des gens qui ont une capacité d’investissement et ils vont être les seuls propriétaires. Soit on en fait une mesure qui change le cours des choses sur les 20 ou 30 prochaines années, par exemple, en interdisant des constructions qui ne sont pas des logements sociaux. Dans le quartier de la Guillotière on est proche des 16-17 % de logements sociaux, pour qu’ils arrivent au 25% légal, il faut que toutes les nouvelles constructions y soient consacrées. Si on veut que les habitants restent dans Lyon, il va falloir des règles beaucoup plus rigoureuses qu’un simple encadrement de loyer. Actuellement on reste sur une dynamique de gentrification.
Pour redynamiser la démocratie participative à Lyon, la Mairie travaille sur la création de conseils des aînés, de conseils d’arrondissement des enfants ou encore d’un baromètre du bien-être des lyonnais. On peut aussi noter la création d’un budget géré par les citoyens représentant au total 5% du budget d’investissements. Que pensez-vous de ces initiatives ? Pensez-vous qu’elles permettent réellement une meilleure participation politique des citoyens, alors que l’abstention est en hausse ces dernières années ?
Globalement c’est hyper positif ! Ce qu’il manquait au conseils de quartier c’était un budget mais aussi une représentativité. C’est pas juste une marionnette qu’on agite en temps qu’élu tous les six mois pour se donner bonne conscience. Pour ce qui est de la représentativité, on voit qu’aux conseils de quartiers ce sont toujours le mêmes têtes. On peut se questionner : est-ce que des associations sportives, des associations de commerçants ou autre pourraient intégrer ces mêmes conseils ? Je pense qu’il y a un gros manque de représentativité, ça ne représente jamais le quartier dans sa classe d’âge ou sa catégorie socioprofessionnelle. Il y a aussi la question du lieu et des horaires. Les marges de manœuvre sont nombreuses, cela pourrait avoir lieu le samedi après-midi sur une place du quartier plutôt qu’un soir de semaine dans une petite salle.
Concrètement, quels changements espérez-vous encore dans la gestion municipale de Gregory Doucet ?
On est en début de mandat, il y a encore des tas de choses à faire. On en saura plus dans quelques jours avec la PPI (Plan pluriannuel d’investissement). En 100 jours ils ont quand même fait des choses, que ce soit la piétonnisation, sur les mobilités. Maintenant c’est la question des logements et des services publics qui doit être davantage mise en avant. Il ne faut pas que l’énergie qu’ils ont mis dans ces 100 premiers jours se dégonflent pour le reste du mandat.