Une assistante sociale : « La sexualité est taboue dans certaines communautés »

Au cours d’un voyage en train, Azzedine fait connaissance avec une jolie fille. S’il n’obtient ni son nom ni son numéro de téléphone, cette jeune assistante sociale lui confie le quotidien d’un métier poignant.

Depuis quand et pourquoi ce métier d’assistante sociale ? Assistante sociale depuis 2003, j’ai choisi de faire ce métier après un congé parental d’un an. Mon travail auprès d’élèves n’est pas anodin : l’Ecole / Ascenseur social je veux encore y croire. Nous avons comme mission d’aider les élèves les plus en difficulté.

Quels sont les cas les plus courants ?

Les situations qui reviennent le plus souvent sont les problématiques liées aux relations des enfants avec leurs parents, les relations intra familiales. Le mal-être de ces ados vient de ce qu’ils ne trouvent pas assez d’écoute chez eux. L’espace de parole qu’ils ont avec moi est un moment privilégié car nous sommes soumis au secret professionnel. Le souci principal étant de leur donner envie de venir à l’école et de réussir. Nous aidons aussi les familles qui ont des difficultés financières pour la cantine, les sorties scolaires, voire les soins. Les maltraitances diverses peuvent faire l’objet de signalements aux juges des enfants.

Qu’est ce que tu as fais pour les aider ?

Tout d’abord le travail d’écoute et de mise en confiance est primordial en démontrant qu’il est réciproque : dire à l’élève qu’on a confiance en lui. Cela enclenche des révélations graves qui ne viennent jamais au moment où on les attend. Il faut parfois rédiger un signalement en justice pour prendre en charge rapidement ces élèves.

Qu’est ce qui fait que des élèves fassent la démarche de te voir ?

Dans les établissements scolaires, je fais en sorte de me présenter dès la rentrée à toute l’équipe pédagogique et de direction. À partir de là, les profs repèrent des élèves en difficultés et me les confient. Par ailleurs, le fait d’animer des actions collectives dans le cadre du CESC (Comité d’Éducation à la Santé et à la Citoyenneté) dans les classes permettent aux élèves de me repérer comme un adulte qui peut les aider. Ou de manière individuelle, lors de mes permanences au collège, sans rendez vous.

Et parce qu’ils se sentent proches de toi ?

Il arrive que des jeunes filles viennent plus facilement me voir lorsqu’elles apprennent que je suis de la même origine qu’elles, du moins c’est ce qu’elles me disent. La connaissance de l’arabe dialectal est franchement un atout lorsque je dois parler aux familles.

Y a-t-il des problèmes différents selon les origines culturelles ?

Bien sûr ! Les problèmes liés à l’adolescence sont certes identiques à tout le monde (rejet de la société et de la famille, complexe du corps qui change etc.) mais ils ne sont pas appréhendés de la même façon en fonction de la culture d’origine. Les représentations de la sexualité chez les ados posent beaucoup de problèmes : ces sujets sont encore trop tabous dans certaines communautés. La question de la virginité chez les filles réapparaît avec les élèves d’origine étrangères et lorsque nous animons des actions « d’éducation à la sexualité » les relations garçons-filles sont complètement différentes d’une communauté à l’autre. Toutes ces actions citoyennes que je prends en charge en classe servent à palier ce manque de dialogue dans les familles.

Par exemple ?

Évidemment, ce ne sont que des exemples car heureusement les choses évoluent pour les femmes. Mais j’ai découvert dans la communauté gitane un « sacrifice de la virginité » : « la panuella » (litt. : le mouchoir). J’ai découvert cette tradition lors d’une crise de tétanie dans mon bureau d’une jeune gitane promise à un homme de sa communauté : pendant le mariage, elle devait être déflorée par une femme âgée et prouver par la panuella tachée de sang que la mariée est bien vierge. Ce qui rendait « malade » cette gamine, c’est qu’elle ne voulait pas que son père y assiste : apparemment cela se fait dans une pièce où les parents et d’autres témoins sont conviés. Nous avons réussi à trouver un internat privé à cette élève mais aujourd’hui mais maintenant qu’elle a plus de 16 ans et non soumise à l’obligation scolaire, je suppose qu’elle est mariée.

Cela ne finit pas toujours en drame ?

Non, par exemple une jeune fille d’origine algérienne en classe de 4e (15 ans) est venue me voir et m’a dit d’entrée de jeu : « On m’a dit que vous étiez arabe, peut-être que vous comprendrez mieux ce que je vais vous dire ». Apparemment elle avait besoin de savoir qu’elle était de la même origine que moi pour poursuivre l’entretien. Aujourd’hui, en 2008, il existe encore des jeunes filles qu’on promet à des cousins du bled beaucoup plus âgés. C’était son cas, elle angoissait à l’idée que sa mère l’attendait à la sortie du collège pour l’emmener chez un médecin et demander un certificat de virginité. Elle devait se marier la semaine suivante avec un cousin de 28 ans.

Qu’avez-vous fait ?

Je l’ai emmenée avec ma voiture dans un service de l’aide sociale à l’enfance avec l’aval du juge des enfants à qui j’ai dû signaler cette élève en danger. Elle est revenue me voir après son placement : elle est en internat dans un lycée et on travaille aujourd’hui sur un retour dans sa famille qui paraît possible. J’ai en moyenne 5 cas de mariage forcé par an.

Dur métier !

C’est un métier qui est passionnant, dont on parle qu’avec des clichés, comme celui de l’assistante sociale qui vient à la maison retirer les enfants… Alors que nous sommes au cœur de l’insertion de ces jeunes qui sont venus nous demander de l’aide à un moment de leur vie. Il y a tellement de choses à apprendre à nos bambins, « ces futurs adultes »… Ce travail n’est jamais routinier !

Azzedine Benelkadi

La rédaction

Crée en 2008, la rédaction du Lyon Bondy Blog s'applique à proposer une information locale différente et complémentaire des médias traditionnels.

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