Street-art : Rencontre avec Kalouf

Artiste international, Kalouf mêle graff, objets de récup’ et modélisations 3D. Ses œuvres sont un moyen pour lui de sensibiliser sur les enjeux environnementaux et dénoncer les impacts destructeurs des humains sur la planète. C’est dans son atelier à Lyon que l’artiste nous a chaleureusement accueilli et a accepté de nous parler avec passion de sa vision du street-art, de ses engagements, mais aussi de ses projets passés et à venir.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans le graffiti ?

Je dessinais depuis tout gamin. Au début des années 90, il y a eu les premiers clips de rap. J’ai vu un clip où il avait un gars qui marchait dans la rue, avec un gros graff derrière et je me suis dit : «J’ai envie de faire ça ! » Ça m’a marqué. Je me suis dit que c’était vraiment cool de mettre de la couleur sur les murs gris. J’ai commencé à m’intéresser à ça, et puis je me suis lancé.

Quelle a été votre première œuvre ?

J’ai commencé à graffer en faisant des lettres. Je suis originaire de Bourgogne dans un petit bled à la campagne. J’ai commencé en faisant des tags la nuit sur des murs planqués. Ensuite je suis allé à Nevers, une ville plus grande, où j’ai commencé à faire des pièces plus grosses en couleur sur les murs des villes. Puis, j’ai rencontré d’autres graffeurs et on a monté un groupe. On a commencé à peindre ensemble illégalement, au départ. Dans le monde du Graff il y a ce qu’on appelle des « terrains » qui sont des entrepôts désaffectés où ce n’est pas autorisé de graffer, mais on risque moins de se faire choper qu’en pleine ville. On a donc commencé à faire des fresques un peu plus travaillées, avec plus de couleurs, de personnages etc…

Vos œuvres sont très colorées. Pourquoi les explosions de couleurs vives sont importantes pour vous ?

Parce que j’aime ça ! La couleur est justement ce qui m’a marqué quand j’ai découvert le graff. La couleur dans la rue, on ne voyait pas trop ça à l’époque donc ça m’a vraiment séduit. La couleur ça peut égayer un lieu, donner vie à des endroits qui sont un peu tristes.

La question de la préservation de l’environnement semble beaucoup vous toucher. On le voit notamment à travers les supports que vous utilisez tels que des cartons et des panneaux recyclés. Les animaux sont aussi omniprésents dans vos œuvres. D’où vous vient cet intérêt pour la préservation de l’environnement ?

Au départ je faisais beaucoup de personnages, de visages. J’avais un côté un peu plus dark. Je faisais des monstres et des super-héros. Quand j’ai commencé à vivre de ça, je faisais de la décoration. Artistiquement tu ne t’épanouis pas vraiment, parce que tu ne fais pas tes propres projets. Quand je suis arrivé à Lyon, je me suis dit que c’était le moment de me recentrer sur ce que j’ai vraiment envie de faire. J’ai commencé à faire des animaux parce que je suis hyper sensible à l’écologie. Je suis né en Afrique et quand j’étais petit mon père était spécialiste des serpents. Il récupérait aussi tous les animaux blessés. Il y avait des animaux braconnés. Mon père récupérait toutes les bestioles. Il a eu un éléphanteau et une guenon par exemple. J’y suis resté jusqu’à mes trois ans donc j’ai très peu de souvenirs de ça, mais je pense que c’est resté dans mes gènes. On dit qu’à l’enfance il y a plein de choses qui s’ancrent. Quand j’étais gamin j’étais fan d’animaux, j’attrapais tous les insectes. Une fois, j’avais récupéré une vipère que j’avais mis dans un carton sous mon lit. Je trouve que c’est très inspirant parce que justement tu as plein de couleurs et de textures ; les poils, les plumes etc… C’est une source d’inspiration illimitée. Il y a ce côté engagé aussi. Pour moi l’écologie c’est important et même s’il n’y a pas beaucoup d’animaux en ville. Justement, avec la peinture j’en ramène.

En 2018 avec l’exposition « Wild Washing » vous dénonciez le greenwashing. Pouvez-vous expliquer ce que c’est et pourquoi c’est important de sensibiliser les gens sur ce sujet ?

Le greenwashing c’est par exemple des grosses boîtes qui ont un impact écologique pas terrible et qui vont faire de la pub en disant : « nous on fait ces actions là pour l’écologie », alors qu’en fait derrière, c’est juste une démarche pour redorer leur blason. Je trouve ça un peu dégueulasse, donc j’avais envie de traiter ce sujet. Je trouve que l’art c’est fait pour ça aussi, pour faire avancer les choses et sensibiliser sur différents sujets de nos sociétés qui sont importants.

Est-ce que la présence des thèmes environnementaux en France vous rend optimiste pour l’avenir ?

Je trouve que c’est un vrai pas. Au moins ça montre que les gens ont envie de ça. Ça devrait être quelque chose de primordial chez tous les partis politiques. Tout le monde devrait se mettre là-dessus parce que c’est notre santé, notre survie et celle des espèces.

Durant le confinement, vous avez participé à la personnalisation de masques. Dans quelles mesures le confinement a-t-il eu un impact sur vos projets ?

C’est très bien tombé en fait, parce que j’avais prévu de prendre du temps pour les prochaines expositions. J’avais de la modélisation 3D à faire donc c’était parfait. Ça m’a permis de prendre un peu plus de temps avec mes enfants aussi.

On voit peu de street-art dans les rues de Lyon et très souvent ce sont des œuvres éphémères telle que l’œuvre représentant un Gorille que vous avez réalisé l’été dernier Boulevard Vivier Merle, sur un mur qui a été démoli en janvier dernier. Est-ce que vous avez le sentiment que le street-art peine encore à s’intégrer à Lyon ?

Oui ! Je ne connaissais pas trop Lyon avant. J’étais venu au début des années 2000 pour un événement et j’avais l’impression que c’était une grande ville et que le street-art était très développé. Quand je me suis installé à Lyon, je me suis aperçu que c’était pas du tout le cas. C’est pour ça que très rapidement je me suis fait ma place. À Lyon il y a une culture de murs peints, mais les leaders mondiaux qui ont le monopole sont principalement axés sur les trompes l’œil et les peintures classiques. Ils sont très intégrés et ils sont là depuis longtemps. En tant que street-artiste, pour avoir un mur pérenne c’est plus compliqué à Lyon que d’en d’autres villes. À Lyon j’ai fait que des murs éphémères. Pour faire des grandes façades il y a plein de gens qui jettent l’éponge parce qu’administrativement parlant il y a des barrières.

Crédit Photo : Fabecollage, « Zoo Big Wall » Boulevard Vivier-Merle, Août 2020 (Source : Compte Instagram de Kalouf)

Le street-art c’est l’art urbain dans la rue. Est-ce que c’est frustrant parfois en tant qu’artiste inspiré par la rue d’exposer principalement dans des endroits clos comme des galeries ou des évènements encadrés comme le Zoo Art Show?

Je fais plein de choses ailleurs, dans les rues, je ne m’arrête pas à Lyon. Mais effectivement sur Lyon c’est un peu frustrant parce que j’y habite. La municipalité accepte les graff dans des lieux un peu cachés. Dès qu’on entre un peu dans la ville ça commence à coincer.

Pour parler de la démocratisation du street-art, certains utilisent le terme d’ « embourgeoisement » de ce mouvement qui était caractérisé par l’illégalité, l’interdit et l’underground. Avant les municipalités trackaient les graffeurs, maintenant c’est moins le cas. Que pensez-vous de cette évolution du street-art ?

Je pense que c’est bien qu’il y ait une ouverture. Après, bien sûr, il y a des opportunistes. Il y a des gens qui viennent de débarquer dans le milieu et qui ont rapidement le bon réseau. Mais il y a de la place pour tout le monde.  Il y a deux catégories : il y a ceux qui font ça pour le plaisir, pour qui ça ne doit pas être une source de revenus et il y en a d’autres qui ont envie d’en vivre. Je trouve que les deux sont bien. J’ai été vandale et je suis toujours content de voir des trucs faits à l’arrache dans la rue. Je ne suis pas contre les gens qui gagnent beaucoup d’argent, tant mieux pour eux s’ils gagnent leur vie et s’épanouissent là-dedans. Personnellement, faire de l’argent ce n’est pas ce qui m’intéresse. Pour moi, le street-art ça doit être fait dans la rue. Il faut que ce soit accessible et populaire. On est beaucoup à défendre ça. Même si de temps en temps je fais des expos et que je vends des toiles, ce n’est pas ce que je préfère. Je préfère peindre dans la rue parce qu’il y a un contact avec les gens, il y a de la vie. Même dans mon atelier je ne suis pas tout seul, on est plusieurs. J’aime être avec les autres et échanger. Avec l’association Blast, quand on fait de l’argent c’est pas pour s’enrichir, c’est plus pour autofinancer nos projets et ne pas être limités.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaiterait se lancer et percer dans le street-art ?

Se faire plaisir, déjà. Ne pas se sentir limité par l’argent. Avec des objets de récup on peut faire plein de trucs. Il faut aussi avoir du professionnalisme parce que tu es en face de gens qui ont des attentes. C’est important d’avoir un minimum de sérieux. Plein d’artistes ne sont pas très sérieux. La ponctualité c’est important quand tu attaques une grosse fresque. Il y a toute une logistique derrière ; il faut préparer le matos, réceptionner une nacelle, conduire une nacelle, faire une maquette etc… C’est tout un ensemble.

Le retour de l’exposition street-art Zoo Art Show a été annoncé pour cet automne à Lyon pour sa 3ème édition. Vous faites une nouvelle fois partie des artistes dont les œuvres seront exposées. A quel type d’ambiance doit-on s’attendre cette année ?

Cette année ça va être payant. Je suis un peu moins sur les projets qui sont payants donc j’étais un peu réticent à le faire au départ. Après, cette année c’est l’occasion pour moi de faire venir mon collectif de graffeurs que j’avais à l’époque. On va faire une grosse fresque collective.

Pouvez-vous nous parler d’autres projets futurs sur lesquels vous travaillez ?

En septembre, on va faire l’exposition « Symbiose ». On va montrer la symbiose entre les animaux. J’ai fait un singe qui tient une petite coupelle dans laquelle on mettra des graines d’oiseau. L’idée c’est de dire : « prenez exemple sur les animaux parce qu’ils ont tout compris ». Je vais aussi prochainement faire une performance avec un ami danseur hip-hop, Olivier Lefrançois. Lui dansera sur une toile avec de la peinture et ensuite cette toile me servira de fond pour que je graff dessus. On a aussi une expo prévue à Vaise en novembre.

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