«Si on enlève le contrôle d’identité, on enlève un pouvoir d’agir à la police»

Dossier contrôles d’identité. Ils se sentent accablés et constamment montrés du doigt. Thierry Clair et Éric Pastre, du syndicat UNSA Police (Région Auvergne-Rhône-Alpes) ont répondu aux questions du LBB.

Dans quelle mesure les contrôles au faciès sont-ils fréquents en France ?

Thierry Clair : Les contrôles au faciès peuvent exister à la marge. Comme dans chaque métier, il y a des policiers qui ne sont pas professionnels.

Éric Pastre : Nous avons de plus en plus de collègues dans nos rangs qui viennent de toutes les communautés, de toutes les religions. Ça a le mérite de montrer que nous sommes bien une police républicaine.

Comment expliquez-vous qu’il y ait autant de jeunes qui se plaignent de la police et qui se sentent en insécurité lorsqu’ils voient des policiers ?

Thierry Clair : Si le jeune n’a rien à se reprocher, sa peur n’est pas fondée.

Éric Pastre : On vit en société donc on doit respecter un cadre, une autorité. Certains jeunes ont du mal à l’accepter.

Thierry Clair : Aujourd’hui, le policier est quelqu’un qui n’est pas respecté. Tout comme le professeur d’ailleurs…

Éric Pastre : Instituteur, pompier, postier, commerçant… On a différents métiers qui rencontrent les mêmes difficultés dans certains quartiers. On essaie de faire tout simplement nos métiers dans des conditions qui ne sont pas acceptables. J’ai grandi dans un quartier populaire. Je me souviens de la peur du policier dans les années 80, qui étaient des années très difficiles. À l’époque, j’étais du côté des jeunes.

Thierry Clair : Dans les quartiers, il y a des jeunes qui ont envie de jouer avec la police. Ils les provoquent pour, par exemple, amener une voiture dans une impasse et fuir en scooter en faisant un bras ou un doigt, ou en caillassant la voiture. Nier ce jeu, c’est être dans le déni. Les collègues s’interrogent quand ils sont dans l’action : qu’est-ce que je fais ? Je reste spectateur ou j’agis ? Si j’agis, il y a forcément des risques. S’il n’y a pas d’accident, personne n’en parle. S’il y en a un, certains vont relancer la polémique. Policier, c’est un métier difficile : on est toujours sur le fil du rasoir.

Le matricule « un peu une mesure gadget »

Qu’a changé le retour du matricule sur l’uniforme en 2014 ?

Thierry Clair : On est tout à fait pour la transparence. On n’était pas contre le retour du matricule. Mais la façon dont ça a été fait par le ministère a été mal reçue : on s’est sentis accusés. En plus, aujourd’hui avec les GPS on sait très bien où sont les véhicules. Donc c’est un peu une mesure gadget.

Y a-t-il globalement une différence depuis que François Hollande est président de la République ? La politique du chiffre est-elle moins présente ?

Thierry Clair : La culture du résultat est installée. Manuel Valls, dans son discours a dit « stop ». Mais les curseurs sont toujours là : l’évaluation et la notation des fonctionnaires se font sur une activité quantifiée. Pourtant, notre activité n’est pas d’interpeller un petit consommateur de « chichon », mais plutôt un revendeur et de démanteler un réseau.

Éric Pastre : Tout cela demande un travail préparatoire qui n’est pas comptabilisé. On est un service public. On doit aussi avoir la capacité de recevoir les gens, de les écouter, de traiter les dossiers non pas comme des machines, mais comme des humains. On doit aussi comprendre leurs difficultés. On aimerait que nos responsables prennent en compte cette complexité. Nous luttons contre ces méthodes prônées par les hauts cadres de notre administration. Ils ont une approche économique. À force de dire qu’il faut moins de fonctionnaires, on ne peut plus aussi bien s’occuper des gens. Ce sont les citoyens qui, au final, sont lésés. Dans certains commissariats, des plaignants en situation de détresse attendent 2 heures. C’est scandaleux !

Thierry Clair : Les collègues sont confrontés à toute la misère du monde. Quand le ministre visite un commissariat, ça se fait avec la presse. On passe la cireuse, on change tous les néons. Les gens qui font les lois devraient un peu plus souvent venir sur le terrain, mettre les mains dans le cambouis. Les politiques ne sont pas capables de régler les problèmes économiques et sociaux, alors ils se servent de la sécurité pour gagner des élections. Mais hors du discours, l’insécurité persiste. C’est l’ensemble de la société qui est concerné et qu’il faut mobiliser.

« Le récépissé n’a pas de sens. C’est inefficace »

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© http://stoplecontroleaufacies.fr/

Selon vous, faut-il encore réformer les contrôles d’identité ? Si oui, est-ce que le récépissé fait partie des réformes que vous souhaitez voir votées ?

Thierry Clair : C’est de la grande théorie. Il faudrait plutôt se pencher sur le fonctionnement réel des services. Si l’on veut améliorer notre travail, il faudrait se pencher sur la formation continue, sur la façon dont nous sommes évalués, sur nos moyens, nos effectifs… Le récépissé, ça n’a pas de sens : c’est compliqué, inefficace. On y est totalement opposés. Parler du récépissé, c’est déplacer le débat et faire augmenter les voix du Front National : certains collègues vivent mal leur profession. (NDLR : ce que réfute le collectif contre le contrôle au faciès, idée reçue n°4). Ils sont frustrés de ne pas avoir les moyens pour faire leur travail correctement. Si en plus ils se sentent accablés et constamment montrés du doigt…
Si on enlève le contrôle d’identité, on enlève un pouvoir d’agir à la police. La majorité des affaires délictuelles qui se résolvent trouvent leurs sources dans un contrôle d’identité. Réduire les contrôles, c’est réduire ce nombre. Parfois, le contrôle ne débouche sur rien. Mais est-ce que subir un contrôle est outrageant en soi ? J’ai déjà subi des contrôles d’identité. Je m’y suis plié parce que c’est la loi !

Éric Pastre : Aujourd’hui, il y a un tel sous-effectif qu’on se retrouve avec trop peu de patrouilles dehors. 30 % de la police est sur le terrain, les autres, les citoyens ne les connaissent pas. Nos missions administratives sont lourdes. Il ne faut pas les multiplier ! Le récépissé c’est encore une machine administrative.

Thierry Clair : La caméra embarquée, c’est plus intéressant. Avec une caméra, tout le monde se calme. Ça se passe beaucoup mieux. Il y a de nouvelles possibilités technologiques pour éviter les dérives. Nous n’avons pas peur de la transparence, mais nous ne voulons pas être montrés du doigt. On se sert de certains excès à la marge pour en faire une règle générale.

Depuis le renforcement du plan Vigipirate,  la police est à bout de souffle. Dans le même temps, la sécurité privée gagne des parts de marché, notamment en partenariat avec les services publics. Ne craignez-vous pas un désengagement du public au profit du privé  ?

Thierry Clair : Ce désengagement, on le voit également dans les hôpitaux, les prisons… C’est un débat idéologique que l’on a depuis une vingtaine d’années. Les contrats public-privé sont des gouffres pour l’État. On a aussi une territorialisation croissante de la police, avec la police municipale. Mais les mairies ne mettent pas les moyens : une police, ça coûte très cher ! On étend nos missions, comme avec Vigipirate, mais on n’augmente pas nos effectifs.

La rédaction

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