Christophe La Posta, membre de l’association vénissiane : l’Espace Pandora

Echanges avec Christophe La Posta de l’Espace Pandora, association vénissiane de médiation culturelle

Rencontre avec Christophe La Posta, membre de l’association vénissiane : l’Espace Pandora. Agitateur poétique, médiateur culturel, intervenant pédagogue, il revient avec nous sur son métier qui demande patience et passion.

Comment l’Espace Pandora s’est retrouvé à Vénissieux ?

C’est le directeur actuel qui a fondé le lieu, il y a déjà 37 ans. L’espace est né à Vénissieux et a grandi ici. Je suis aussi de Vénissieux, et c’est compliqué culturellement, donc on sent que notre travail est nécessaire, on ne retrouve plus de journaux, les bibliothèques ferment… On veut continuer à faire vivre la ville. On veut pouvoir faire découvrir à des enfants, à travers l’écriture, une forme d’expression qu’ils pourront un jour utiliser.

A quel point ce travail est important pour la ville ?

On dit souvent que la violence vient au moment où l’on n’arrive plus à exprimer quelque chose. Si chacun sait s’exprimer, que ça soit entre nous, devant un patron plus tard, un client, c’est important d’avoir des armes. Tu peux avoir la langue de ton quartier, mais aussi avoir une langue plus commune qui nous permet d’aller ailleurs. On peut vite être enfermé là où on habite, je ne suis pas un grand voyageur et j’habite moi aussi à Vénissieux, je pense y rester. Mais mon ouverture d’esprit me permet de sortir d’ici. J’essaye de leur dire qu’il ne faut pas censurer leur propre langue de quartier, mais se faire comprendre aussi par tout le monde.

Cette double culture que certains enfants peuvent avoir dès le plus jeune âge, vous la ressentez dans les écrits ?

On a plusieurs projets qui tournent autour de ce thème. On a un premier projet qui mélange l’argot et le français plus traditionnel, ainsi qu’un second projet qui mélange la langue maternelle d’origine et le français. On veut faire comprendre à tout le monde dans les classes : professeurs et élèves, que c’est une chance d’avoir une double culture. Même si on a du mal avec le français, avoir une deuxième langue est une arme. Il ne faut pas s’excuser d’avoir des lacunes en français, c’est un apprentissage. Certains élèves ont 13 ans et parlent déjà arabe, français et anglais. C’est une richesse énorme.  À l’époque de nos parents on ne pouvait parler que le français.

Votre travail vous force-t-il à rester ici à Vénissieux ?

Non, je suis amené à me déplacer. Si on m’appelle pour aller autre part dans Lyon, je m’y rendrais. Cependant, on se sent plus utile ici. On fait découvrir des choses qu’on ne peut pas voir ailleurs. Si on va dans les bibliothèques, les médiathèques, les magasins de livres, on se rend compte que la poésie représente un tout petit pourcentage. J’essaye d’inculquer cette passion ici, de monter de gros projets. Je ne dis pas que ce n’est pas important de le faire ailleurs non plus.

Votre place peut-elle pallier le manque de MJC en banlieue, et les cours à l’école ?

Le problème avec de ces structures c’est qu’elles sont moins fréquentées. Dans les MJC on retrouvait principalement des jeunes de 16 à 25ans, qu’on ne retrouve plus nulle part, même dans les EPJ (Equipements Pour la Jeunesse). C’est un public qui n’est plus intéressé par ce que l’on propose. Les MJC pouvaient être un tremplin pour pas mal de choses : des rencontres professionnels, musicales… Aujourd’hui on a tendance à rester dans notre petit quartier et ne plus trop bouger. Notre rêve ça serait que les gens viennent directement à l’espace Pandora, car on reste un lieu ouvert, un lieu de vie.

Comment est-ce que vous arrivez à mêler ta passion pour l’écriture aux projets de médiation pour lesquels vous travaillez ?

Ça part de quelque chose de plus profond, pas uniquement de moi. J’ai énormément travaillé avec les enfants dans l’animation, j’ai eu l’opportunité de mêler deux passions. Je m’adapte aux demandes en fonction des écoles : les thématiques, les ressources, les idées, les supports. Le postulat est par contre toujours le même : faire écrire tout le monde ! On travaille avec les petits comme les plus grands, on essaye d’encourager à l’écriture pour tous. Tout le monde à quelque chose à dire, il faut simplement lui donner confiance.

Imposez-vous des styles d’écriture ?

En dehors de l’importance d’écrire, on a tous quelque chose à dire, le droit de s’exprimer, peu importe le sujet. Je veux que chacun écrive à sa façon, c’est rare que j’impose la forme. Si les plus grands veulent des rimes, ils peuvent le faire. En règle générale, on laisse le libre-choix.

Comment introduisez-vous votre travail ?

Par la poésie. J’arrive dans des ateliers avec cette question : « est-ce que vous aimez la poésie ? ». Souvent, c’est quelque chose qui fait peur, je leur montre que chacun peut avoir sa propre poésie. C’est une déconstruction de ce qu’ils peuvent apprendre à l’école. Ils savent l’apprendre par cœur, la réciter, mais pas l’écrire.

Vous êtes donc en complément du travail des professeurs ?

On est un plus, notre vision est différente. Les professeurs ne sont pas spécialistes de tout ce qu’ils apprennent aux enfants. Ils leur donnent des bases pour l’écriture rédactionnelle, structurée, mais ils nous appellent en nous demandant de travailler autour de l’écriture-libre, car ils ne savent pas faire.

Quel rapport avez-vous avec les enfants ?

Je suis une tierce personne pour eux, une récréation pour certains. Ce n’est pas un cours, il n’y a ni juste, ni faux. L’absence de note débloque les peurs. Bien que j’aie toujours des étudiants qui me demandent si leur travail est bon. Je leur réponds « est-ce que c’est bon pour toi ? ». Ils doivent s’approprier des outils, plus qu’apprendre quelque chose.

Vous travaillez aussi autour du hip-hop et de la forme musicale du rap. Est-ce la nouvelle forme de poésie ?

On y arrive progressivement. C’est une poésie dans son époque, avec les mots de tout un chacun, l’argot de la rue. Les enfants craignent l’expression « poésie » car ce sont des textes anciens qu’on ne comprend pas. Baudelaire, Rimbaud c’est dur, ils ne parlaient pas la même langue que nous. La poésie est aussi un jeu abrupt qui met en avant des tournures de phrases compliquées. Il y a une question de fond et de forme.

Essayez-vous d’émanciper les jeunes dans leur écriture. Entre autres sur l’instrumentalisation de la banlieue ?

C’est vrai que j’ai déjà eu un élève qui m’avait écrit un texte de rap au lycée. Il freestylait et se disait déjà rappeur. On a créé un atelier autour du thème de l’écologie, il m’a écrit un texte où il m’a parlé comme dans toutes les chansons actuelles : quartier, drogue, les femmes, l’argent… Je comprends, mais j’habite dans le même quartier qu’eux, je sais que ce n’est pas la vie de tous les jours. Bien-sûr que certains vivent cette vie-là. « Ce n’est pas le cas de tout le monde et encore moins le tien. Si tu ne vis pas cela, ne l’écris pas comme si tu le vivais. Raconte-moi plutôt ta vie, même en chant ou en rap, mais travaille une vraie écriture, pour qu’on y croit. »

La thématique du rap s’impose à vous ?

Je ne le prends pas comme prétexte. Certains groupes aiment plus le rap, on va donc chercher à les emmener vers d’autres formes. D’autres projets poussent au chant, au slam. Pour moi, c’est une forme de poésie moderne qu’on aime ou pas, chacun peut y trouver son intérêt. On le voit même auprès des rappeurs eux-mêmes qui se mettent à écrire des livres, des autobiographies notamment. On parle toujours de soit dans ses écrits.

Est-ce que le rap est une discipline qui ferme des portes ?

Ce qui est enfermant, c’est que chacun veut absolument définir le genre : du slam, du spoken-world, du chant, du rap… Pour moi on peut s’exprimer comme on le sent car c’est un art. Gael Faye, avec Petit Pays, a brisé pas mal de codes à ce niveau-là, comme Abdalmalik récemment.

Quand on parle de Vénissieux, on parle aussi et surtout de l’Allemand, un rappeur des Minguettes. Dans ce rapport à l’écriture, est-ce que c’est un parcours encourageant ?

Les petits me parlent beaucoup de lui. Toute réussite est bonne, on a eu des footballeurs, des musiciens… Il faut se rendre compte que ce sont des métiers difficiles d’accès, mais tant que certains sont motivés, c’est bien ! Je n’ai qu’un seul conseil à leur donner « Faites-vous plaisir dans ce que vous pratiquez ».

Selon vous, l’école est-elle inadaptée à la formation que vous proposez ?

On essaye encore de faire lire aux élèves des livres inaccessibles. Quand on te donne à l’école certaines références, tu n’as pas envie de les lire, car c’est une consigne et pas un plaisir. Il y a quand même des progrès, des livres plus contemporains du moment qu’on leur donne. D’ailleurs, ça marche. Il y a quelques temps je suis allé dans un collège avec un livre, je leur ai lu les premières pages et certains élèves m’ont répondu « on peut l’acheter où ce livre ? »  Finalement c’est la professeure qui l’a acheté et les élèves se le font circuler pour le lire. C’est magique.

Est-ce que certains élèves ont envie d’écrire après votre passage ?

On se rend compte qu’il y a déjà des étudiants qui écrivent, en cachette dans leur chambre, des choses plus abouties. Le journal intime a un peu plus disparu de son côté, au profit des blogs. Il y a de plus en plus d’enfants qui écrivent des histoires, et ça c’est génial.

Pourquoi est-ce que ce sont les associations qui bougent, mais pas le milieu scolaire ?

Ça serait l’idéal. Mais ça coute des sous et du temps, c’est compliqué. Sur le papier, on a des projets qui pourraient se faire, en partenariat avec l’Education Nationale. Faire cohabiter les élèves a été dur pendant 2 ans de covid, alors mélanger les classes ou les écoles c’est encore plus compliqué ! On veut créer plus de projet hors des murs. On est en lien avec un village en montagne, qui a une résidence. On aimerait faire des échanges avec eux pour leur montrer des paysages différents. On voudrait rassembler à la manière de centres sociaux, que ça soit autour du sport ou de la musique. Si dans une même ville on est étranger, comment donner envie de passer la frontière de Lyon, de la campagne.

Comment est-ce que vous travaillez avec le Service public ?

Ils n’ont pas énormément de droit de regard, mais ils s’intéressent à notre travail, ils nous encouragent. On est là depuis longtemps, donc ils nous soutiennent comme ils peuvent. Ils sont même moteurs, car mon poste de médiation a été créé pour réponde à une forte demande liée à la jeunesse. Avant, c’était un poste plutôt « fourre-tout », maintenant, je suis vraiment médiateur culturel. C’est une chance, car on ne leur appartient pas, ni à la mairie ni au service public. Donc on n’aura jamais de problèmes à aller se battre si un jour il y a une coupure de subventions. La ville de Vénissieux est une ville assez exceptionnelle culturellement : une salle de concert (le Bizarre), un théâtre, un cinéma, une bibliothèque, une médiathèque, un festival, des artistes… Il manque peut-être juste un public.

Quant à la question des subventions ?

C’est un sujet éminemment politique. Si l’espace Pandora ne peut pas y avoir droit et qu’elles doivent être repartagées dans d’autres institutions en lien avec la culture : on va partager. Mais si c’est supprimer des subventions parce qu’on décide qu’il n’y en a plus : c’est dommage.

Vous marchez uniquement avec ces financements ?

Chaque action qu’on fait, on est payés par les subventions : festival, ateliers, sorties… Pour que l’association existe, il faut payer les cinq salaires des bénévoles, le loyer, voire un cachet pour les artistes qui viennent. C’est compliqué de vivre sans.

On arrive à la fin de l’année scolaire. Est-ce que vous avez quand même des choses qui vont exister cet été ?

Bien-sûr. On va continuer à développer des projets qui ont vu le jour pendant le covid, surtout l’été. On a mis en place un programme comme Quartier d’été, ou Prendre l’air. Des actions culturelles qui se déplacent vers les gens. Je vais proposer des ateliers d’écriture, lecture musicale, un concert de Jean Sangally aussi dans le quartier Viviani le 5 juillet dernier. On devrait créer des ateliers musiques et écritures avec un musicien qui nous accompagne. On a aussi une action qu’on aimerait mettre en place sur le marché des Minguettes.

Tristan

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